Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




Pour m'éviter d'écrire dans le désert laissez donc ici votre commentaire ...



vendredi 10 décembre 2010

Départ

Chanson souvenir

A l'arrière du train
La ville s'éloigne
Que l'adolescent
Quitte pour toujours.

Adieu les amis,
Les flirts de jeunesse,
Sur le quai d'la gare
Ils sont tous venus.

Que le cœur se serre
Quand le train démarre
Et que l'on sait bien
Qu'on n's'reverra plus.

Comme ils nous empoignent
Et qu'ils nous déchirent
Ces sourires en pleurs
Et ces mains tendues.

Faut-il se quitter
Pour savoir qu'on s'aime,
Et que des mouchoirs
Le disent pour nous ?

Mais bientôt la vue
D'autres paysages
Chasse de nos cœurs
La mélancolie.

On ne songe plus
Qu'à la vie nouvelle,
Au monde inconnu
Qu'on va découvrir.


Quand on a seize ans
On oublie si vite,
Aux pages tournées
On ne revient plus.

Ce n’est que plus tard,
Aux jours endeuillés,
Que le temps passé
Ressurgit en nous.

On voudrait revoir
Ceux qui sont partis
Pour leur dire pardon,
Pour leur dire merci.

Espérons qu'un jour,
Au delà du temps,
Tous ceux qui s'aimaient
Se retrouveront.

lundi 6 décembre 2010

L'affreux macho

(Chanson grossière)

Quand je vais dans la cuisine
Regarder faire la vaisselle,
J'aime à voir ma concubine,
En tablier de dentelle,
Récurer la poêle à frire
Et passer la serpillière.
Pour soigner ses mains câlines,
Je lui offre pour Noël
Un flacon de Palmolive
Et des torchons nid d'abeille.

Quand je l'amène au cinoche
Voir un comique troupier,
Au retour je lui reproche
De n'avoir pas rigolé.
D'une claque sur les fesses
J'essaie de la dérider.
Arrête de faire la tête,
Nom de nom restons français.

Le soir devant la télé,
A moi d'télécommander.
Elle voudrait voir Sissi
Mais j'aime // pas les chichis.
Au diable tous ces froufrous,
Regardons la Soupe aux Choux.
C'est une histoire où l'on pète
Pour plaire aux Extraterrestres.
C'est quand même plus rigolo
Que les films sentimentaux.

Quand au camping de la plage
Ca donne du transistor,
C'est nous les rois du tapage
Avec Nanar et Totor.
Prétextant une migraine,
Elle s'enfuit vers la mer
Mais vite je la ramène,
Allons ne fait pas la fière.
Ce Brassens que tu adores
Nous l'a chanté bien des fois
Tout pour les copains d'abord,
Ecrasez-vous les nanas.

Je vois bien qu'avec mes potes
Elle fait sa mijaurée.
Paraîtrait que la chochotte
N'aime pas le genre grossier !
Faudra bien qu'elle s'y fasse
Et quitte ses airs pincés
Car moi j'aime la belote
Et les histoires salées.

Comme dit le malabar
Qui programme nos loisirs :
Un cul est un cul Madame.
Après ça y a rien à dire.

mardi 16 novembre 2010

métropolitain

Paroles de chanson d’une angoisse à faire rire


Ce métro roulait sans cesse
Et ne s'arrêtait jamais.
Ce métro roulait sans cesse,
Ah que nous étions serrés.
Le chauffeur // était mort //
D'une cri ise cardiaque
Et la peur, le remords,
Entendez nos dents qui claquent.

Métropo, métropo,
Métropolitain sans guide.
Métropo, métropo,
Métropolitain suicide.

Au secours, stoppez la rame,
Implorent les passagers.
Plus vite crie la marmaille,
Ravie de cette équipée.
Les fraudeurs que la peur glace
Font serment d'honnêteté,
Jurant de payer leur place
Dix fois le prix du ticket.

Métropo, métropo,
Métropolitain s'entête.
Métropo, métropo,
Métropolitain funeste.

Sur les quais la populace
Se masse pour voir passer,
Ravagées par le désastre,
Nos faces épouvantées.
Craignons que dans ces tunnels
D'une noirceur infernale
Un déraillement mortel
Arrête notre cavale.

Métropo, métropo,
Métropolitain s'enrage.
Métropo, métropo,
Métropolitain sauvage.

Mais voici // que soudain //
Notre métro sort de terre.
Ironie // du destin //
C'est à la station Bel Air.
La vitesse s'accélère,
C'est un métro T.G.V.
Précipitant vers l'enfer
Sa cargaison de damnés.

Métropo, métropo,
Métropolitain s'emballe.
Métropo, métropo,
Métropolitain fatal.

Saisi de frayeur extrême,
Dans un appel angoissé,
J'ai crié maman je t'aime...
Et je me suis réveillé.

lundi 1 novembre 2010

l'Offrande Lyrique


Voici, à l’occasion des fêtes de la Toussaint, quelques extraits de l’offrande Lyrique, recueil de poèmes d’inspiration mystique écrits par Rabindranath Tagore, illustre poète indien qui reçut le prix Nobel de littérature en 1913 et qui est considéré dans son pays comme un saint.

Vie de ma vie, toujours j’essaierai de garder mon corps pur, sachant que sur chacun de mes membres repose ton vivant toucher.
Toujours j’essaierai de garder de toute fausseté mes pensées, sachant que tu es cette vérité qui éveille la lumière de la raison dans mon esprit.
Toujours j’essaierai d’écarter toute méchanceté de mon cœur et de maintenir en fleur mon amour, sachant que tu as ta demeure dans le secret autel de mon cœur.
Et ce sera mon effort de te révéler dans mes actes sachant que c’est ton pouvoir qui me donne force pour agir.

Mon chant a dépouillé ses parures. Je n’y mets plus d’orgueil. Les ornements gêneraient notre union ; ils s’interposeraient entre nous, et le bruit de leur froissement viendrait à couvrir tes murmures.
Ma vanité de poète meurt de honte à ta vue. O Maître-Poète ! je me suis assis à tes pieds. Que seulement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique.

Dans la nuit de lassitude, permets que je m’abandonne sans lutte au sommeil et repose sur toi ma confiance.
Permets que mon esprit languissant ne s’ingénie pas à te préparer un culte dérisoire.
C’est toi qui tires les voiles de la nuit sur les yeux fatigués du jour, pour renouveler son regard au réveil dans une plus fraîche félicité.

Quel divin breuvage espères-tu, mon Dieu, de cette débordante coupe de ma vie ?
Mon poète ! est-ce là ton délice de voir ta création à travers mes yeux et, au parvis de mon oreille, d’écouter, silencieux, ta propre divine harmonie ?
A travers mon esprit, ton univers se tisse en paroles auxquelles ta joie communique la mélodie. Tu te donnes à moi par amour, et c’est alors qu’en moi tu prends conscience de ta suavité parfaite.

Quand nous jouions ensemble, jamais je n’ai demandé qui tu étais. Je ne connaissais ni timidité, ni frayeur ; ma vie était impétueuse.
Au petit matin, comme un franc camarade, tu m’appelais de mon sommeil et de clairière en clairière tu m’entraînais en courant.
En ce temps-là je ne m’inquiétais pas de connaître la signification des chansons que tu me chantais. Ma voix simplement reprenait les mélodies ; mon cœur dansait à leur cadence.
Mais à présent que l’heure des jeux est passée, quelle est cette vision soudaine ? L’univers et toutes les silencieuses étoiles se tiennent, pleines de révérence, les regards baissés vers tes pieds.


L’Offrande Lyrique est éditée chez Gallimard

lundi 6 septembre 2010

voyez

Paroles d’une chanson en attente de musique


Voyez,
Voyez passer les oies sauvages
Le cou tendu vers des rivages
Ensoleillés.

Voyez,
Voyez les ombres des nuages
Poursuivies par les vents d'orage
Courir les champs.

Voyez,
Voyez, gardiennes du canal,
Ces haies d'arbres qui se rejoignent,
Au bord du ciel.

Voyez,
Voyez courir l'eau des rivières
Vers la sauvagerie des mers,
Pauvre insensée !

Voyez,
Voyez se perdre à l'horizon
Ces goélettes qui s'en vont
Au bout du monde.

Voyez,
Voyez du haut de ces montagnes,
Ces bois, ces champs et ces villages,
C'est beau la paix.


Louis Sagot-Duvauroux
21 ter rue de Montreuil
94300 Vincennes

dimanche 29 août 2010

l'écolier

A l’intention des pauvres petits qui vont devoir reprendre le chemin de l’école, ce charmant poème de Marceline Desbordes-Valmore, âme sensible qui savait retrouver l’esprit d’enfance.

Un tout petit enfant s’en allait à l’école.
On avait dit : « Allez !... » Il tâchait d’obéir ;
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir ;
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l’école : il faut apprendre à lire ;
Mais le maître est tout noir, et je n’ose pas rire :
Voulez-vous rire, abeille, et m’apprendre à voler ?
Non, dit-elle, j’arrive et je suis très pressée.
J’avais froid ; l’aquilon m’a longtemps oppressée ;
Enfin j’ai vu les fleurs ; je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! J’en ai déjà puisé dans quatre roses ;
Avant une heure encore nous en aurons d’écloses ;
Vite, vite à la ruche ! On ne rit pas toujours ;
C’est pour faire le miel qu’on nous rend les beaux jours.

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.
………………………………………………….
L’enfant reste muet, et, la tête baissée,
Rêve et compte ses pas pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont la main est lassée,
Rompt ses fragiles liens et tombe auprès de lui.

Un dogue l’observait du coin de sa demeure.
…………………………………………………..
Bon dogue, voulez-vous que je m’approche un peu ?
Dit l’écolier plaintif. Je n’aime pas mon livre ;
Voyez ! Ma main est rouge, il en est cause. Au jeu
Rien ne fatigue, on rit ; et moi je voudrais vivre
Sans aller à l’école, où l’on tremble toujours.
Je m’en plains tous les soirs, et j’y vais tous les jours.
J’en suis très mécontent. Je n’aime aucune affaire ;
Le sort des chiens me plait, car ils n’ont rien à faire.

Ecolier ! Voyez-vous ce laboureur aux champs ?
Eh bien ! Ce laboureur, dit Stentor, c’est mon maître.
Il est très vigilant ; je le suis plus peut-être.
Il dort la nuit ; et moi, j’écarte les méchants.
………………………………………………………
Pour vous-même on travaille ; et, grâce à nos brebis,
Votre mère, en chantant, vous file des habits.
Par le travail tout plaît, tout s’unit, tout s’arrange.
Allez donc à l’école ; allez, mon petit ange !
……………………………………………………
Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux ;
Les chiens vous serviront.
L’enfant l’écouta dire ; son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.
L’espoir d’être homme un jour lui ramène un sourire.

A l’école, un peu tard, il arrive gaîment,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.

mardi 6 juillet 2010

poésie Micheline

Voici une jolie poésie écrite par Micheline avant que nous nous connaissions.

Chezeau 30 août 1945

Un troupeau de moutons traverse en grand désordre
La cour de la maison et le chien prêt à mordre
Va, court, s’active, aboie, puis tout redevient calme.
Il est neuf heures et le soleil darde ses flammes
Et les nuages roses s’amusent avec elles
Et les grands peupliers dont la verte ramure
Frissonne et fait entendre un gracieux murmure
Etendent vers le ciel leurs bras pour le prier.
Nicolas sur les marches trempe ses petits pieds
Dans une flaque d’eau par le vent oubliée.
Le pauvre petit chat arrive tout mouillé,
Devant la porte close il a couché dehors.
Dans la prairie les vaches fixent de leurs yeux d’or
Les rails où de vieux trains vont circuler peut-être
Tandis que par bonheur les poules sous le hêtre
De pourpre costumées trouvent des vermisseaux
Qui après cette pluie sont devenus bien gros.

Dans la maison grand bruit,
Les uns pleurent, d’autres rient,
Tout le monde s’active
Et ne songe qu’à vivre
Longtemps, joyeusement
Avec beaucoup d’enfants.

mercredi 23 juin 2010

La cigale et la luciole - fable

Voici l’aventure, dont Caroline fut témoin, d’une pauvre cigale, d’une petite fourmi
Curieuse et d’une luciole mystérieuse

Cigale s’entêtait Tant d’étés chantés Son cri grinçait
Se débattait d’un raclement dans le ressassement
Crissait comme chagrin de forêt
Vieille de froid si seule dépourvue ne croyait plus aux mélodies
Accordait sa guimbarde à perpète et famine et tout de même tout de même
Qui croit aux mélodies bise venue ?
Les volets clos sur le dehors l’abritaient des fourmilières
Fourmis tenaient conseil
Archivaient le chant besogneux de Cigale pour enseigner les ouvrières
à l’heure des pauses en hiver
Tout fut synthétisé jusqu’à l’aléatoire pour sembler d’inventer
C’était assez pour mille vies de fourmis, les musées
Cigale emportait dans la draille son ahan d’air et l’aigu d’un pourquoi d’enfant
Fourmis classèrent les voix parmi les clameurs et autres pêcheurs de perle
Dans une mémoire en béton sauvée de famine par des festins de commentaires
C’est ainsi qu’on remisa les oreilles dans des écrins noirs
où suintait le formol sonore qui rendait sourd au silence soudain des sirènes
On engrangeait le bois vermoulu des pianos les mains tombaient
Les moignons suffisaient au nouveau clavier
D’ailleurs bâtissaient les enchaînées comme les meilleurs carriers
Le musée des chants premiers servait aux sentiments la sauce nécessaire
aux nostalgies qui font pleurer les fourmilières bonne affaire
L’incroyable vie naturelle et rustique des cigales s’arrachait
L’heureux temps des cigales faisait fortune aux temps froids
La nuit la fourmilière nuitait, oncques ne vit surgir la mille et unième
Chacun chez soi sentait cependant l’obscur s’épaissir mais quoi dire
pour ne pas troubler le sommeil des enfants
Une fourmi traînait encore, un anachronisme en somme, dehors à la nuit noire
Nuit si noire songeait-elle jusqu’où caches-tu la lumière ?
À l’autre bord de toi quelqu’un voit-il le kung-fu de Cigale sur la lavande bleue ?
Brève étincelle – fut très brève – alerta Fourmi dans la nuit
Les étoiles n’approchaient plus la fourmilière
Rideau de terre sur les tranchées gardait les ouvrières du péché de lune
D’ailleurs c’était à ras du sol, la lueur, avec poussière crottin fretin
La nuit si noire quand le cœur si perdu inventait-elle aux vagabonds des mirages ?
Le temps perçait-il la durée de la nuit d’un soubresaut futur ?
La noctambule en parle au matin le conseil s’en émeut la place est balisée
Pleins feux, venez venez La lueur n’était plus
On chasse l’hurluberluée du spectacle et de la société
S’en va coucher dedans le grand dehors avec tous les dangers Juste au bord
de dehors sautillait la lueur Je danse elle disait ce que Cigale a chanté tant d’étés
S’est gonflé le printemps de son chant qu’il me reste à danser je le fais
Cigale est morte à coup sûr à moins qu’au lointain n’ait trouvé qui l’attendait
Fourmi s’écrie la lueur danse au bord d’ici Cigale est morte ou partie
Le conseil s’en émeut etc. etc. plein feu sur le dehors comme on s’ennuie ici !
Notre fourmi bannie espérant un permis se tient aux confins du halo
Le conseil est furieux la foule s’agglutine la foule veut
Fourmi ravie n’entend rien tête à la nuit Regardez les amies la lueur danse
Re-coup de projecteur re-fureur la fourmi pleure
Brillent ses larmes sur la nuit
Un stropiat passait là dans la lenteur des os
Deux nigauds s’écartaient pour les baisers dans les fourrés
Voient briller la nuit
Quittent la forteresse les trois ravis sans mains sans voix On les voit
quelquefois trianguler de noir les amours d’une luciole
On dit c’est un signe ou c’est l’heur
Le premier chien qui passe sait que c’est un poème
Caroline : 19ème salon de la petite édition
Du soleil sur la page
Espace Liberté – 2010
Les Ennemis de Paterne Berrichon

lundi 10 mai 2010

Lucas et la grosse dondon de l'ile des malabars

A la demande de Djibril, je propose aux lecteurs cette aventure où le jeune Lucas fait preuve, une nouvelle fois, de son audace et de son intelligence

Il fait si chaud cet été à Banolin que les touristes passent toutes leurs journées dans l'eau. Ils y prennent même leurs repas, dans des assiettes en bois qui flottent à la surface de la mer.

Ce matin, Lucas part à la pêche très tôt pour être de retour avant la grande chaleur.
Quand il rentre au port, sa filoche pleine de poissons multicolores, le maire est là, sur le quai, qui l'appelle en faisant de grands gestes.

LE MAIRE
Viens vite Lucas. Il nous arrive une catastrophe !
Figure-toi qu'Aline, la géante de l'île des Malabars -celle qu'on appelle la grosse dondon- a décidé de se baigner.
Elle est si colossale qu'elle va faire monter le niveau de la mer de plusieurs mètres. Banolin sera submergé et nous périrons tous noyés !

La population, rassemblée autour du maire, regarde anxieusement vers l'île des Malabars où la dondon s'apprête à la baignade.
La voilà qui trempe l'un de ses énormes pieds dans la mer. Il est si gros qu'il soulève une vague gigantesque qui vient s'effondrer sur la promenade du bord de mer, au milieu des voitures, comme une cataracte.

LE MAIRE
Ce n'est qu'un début, Lucas ! Aline n'a fait que plonger son pied et déjà les quais sont inondés. Si elle se baigne toute entière, la mer va remonter jusqu'à Paris !

LUCAS
Ne nous affolons pas, Monsieur le Maire, et laissez-moi réfléchir cinq minutes.

LE MAIRE
Dépêche-toi Lucas !

Plusieurs banolinais proposent des solutions.
-Il faut envoyer un hélicoptère pour pêcher la grosse dondon avec des cordes et des crochets et l'emporter dans un désert.

LUCAS
Mais mon pauvre Pascal, Aline aplatirait l'hélicoptère entre ses mains comme un moustique !

-Il faut attirer des requins qui mordront la dondon et l'empêcheront de se baigner.

LUCAS
Tu n'y penses pas ma pauvre Sylviane. Quand ils verront la grosse Aline, les requins s'enfuiront épouvantés et se rabattront vers les plages pour dévorer les touristes.
Dites, Monsieur le Maire, cette Aline est bien une amoureuse de la nature, une écologiste renforcée ?

LE MAIRE
Oh! Oui Lucas ! La moindre goutte d'huile ou de pétrole sur la mer la met dans une rage folle.

LUCAS
Alors, c'est facile ! Nous allons l'arroser avec l'huile solaire dont se servent les estivants pour bronzer. Elle n'osera plus entrer dans l'eau de peur de la polluer.

-Les banolinais remplissent avec cette huile la vedette des pompiers.

LUCAS
Venez avec moi Monsieur le Maire, nous allons asperger la grosse Aline.

LE MAIRE
Mais Lucas, si elle nous voit dans ce bateau, d'un coup de pied elle le fait chavirer ! Et je me noie !!!

LUCAS
Allons ! Montez Monsieur le Maire ! La population vous regarde.

Quand ils sont près de l'île des Malabars, le maire et Lucas branchent la lance à incendie et projettent sur la dondon une trombe d'huile solaire.

ALINE
Qui a fait ça ?... Qui a fait ça ?... Pollution ! Pollution !

LUCAS
C'est nous pauvre Aline ! Vous voilà dégoulinante d'huile. Vous êtes une marée noire vivante !

ALINE
Maudit Lucas ! Je ne peux plus me baigner ! Cela tuerait les gentils, jolis, mignons, adorables petits poissons.
Débarrassez-moi de cette huile dégoutante qui transforme les parisiens en horribles lézards marron.

LUCAS
Vous commencez vous-même à bronzer, ma chère Aline.

ALINE
Petit monstre ! Moi qui suis si fière de ma peau, rose comme celle d'un cochon.

LUCAS
Je veux bien vous dégraisser, mais promettez-moi de ne pas vous baigner.

ALINE
Mais j'ai tellement chaud, Lucas !

LUCAS
Monsieur le Maire viendra tous les jours vous arroser d'eau fraiche avec le bateau-pompe.

LE MAIRE
Pourquoi moi, Lucas ?...

ALINE
J'accepte, mais dépêche-toi ! Ma peau devient jaune, je suis moins jolie.

Sur la plage de Banolin, les estivants, rouges de coups de soleil comme des écrevisses, réclament de l'huile à grands cris. Mais les banolinais ont vidé les magasins pour asperger la grosse dondon et les stocks sont épuisés.
Quand elle entend les lamentations des touristes, Aline éclate de rire et les insulte.
-Rentrez chez vous dans votre affreux nord, mauviettes qui fuyez le soleil du Bon Dieu, limaces de sable qui osez couvrir la belle musique des vagues par les crachotement de vos transistors !
-Aline, tais- toi ! dit le maire. Ce sont les touristes qui font la richesse de Banolin. S'ils s'en vont, nous redeviendrons pauvres comme avant, quand nous n'avions pour vivre que la pêche et quelques cultures de légumes et de fruits.
-Pauvres peut-être, conclut Lucas, mais plus fiers et sans doute plus heureux.

mardi 27 avril 2010

Marie Détective

Voici une nouvelle aventure, inédite, de la petite Marie qui n’a rien perdu de sa malice :

Marie est en vacances au bord de la Méditerranée, dans une jolie villa louée par sa tante Caroline.
Ce jour là, elle se lève de très bonne heure pour attraper des crabes sur les rochers avant que la présence des estivants ne les ait fait fuir.
En longeant le port, Marie est intriguée par une jonque qui lève l’ancre précipitamment. Sur le pont, un nabot hideux, au faciès de chien pékinois, hisse la voile en haletant comme s’il venait de courir un marathon. Ses habits sont sales et déchirés mais, bizarrement, il est chaussé d’élégants souliers vernis.
Ce monstre a l’air bien pressé de s’en aller pense la fillette tandis que la jonque s’éloigne du quai.

Marie n’a pas de chance ce matin. Pas un seul crabe sur les rochers, même dans la petite calanque où, d’habitude, ils se rassemblent par centaines.
Au fond de cette crique sauvage, Marie fait une triste découverte. Sur les galets, git le corps inanimé d’un très jeune homme, couché face contre terre. Il est vêtu d’un smoking blanc et chaussé de vieilles savates éculées. Il porte sur la nuque la marque d’un coup très violent. Heureusement, il respire et n’est qu’évanoui.
Au sommet de la dune qui surplombe la petite plage, un brigadier de gendarmerie gesticule en ordonnant à la fillette de ne toucher à rien. Puis il descend la pente abrupte d’un pas chaotique.
Tout est clair, déclare-t-il avec assurance. Cet imbécile s’est assommé en s’étalant sur les galets. Je vois la scène comme si j’y étais. Il faisait nuit. Il était probablement saoul. Il a voulu descendre sur la plage par la dune. La pente est si raide qu’il n’a pas pu freiner sa course. Déséquilibré par la vitesse, il s’est affalé sur le sol en arrivant sur la grève. Les marques de ses pas dans le sable confirment mes conclusions. C’est un accident. L’enquête est terminée.
C’est d’une aveuglante clarté observe Marie d’un air ironique. Vous ne trouvez pas que c’est étrange ces vieilles godasses avec un smoking, ce n’est guère élégant pour un garçon d’apparence si distinguée. Et comment a-t-il pu se blesser à la nuque en tombant face contre terre ? Serions-nous sur une plage de galets sauteurs ?
De quoi te mêles-tu microbe, réplique le brigadier, vexé par le ton moqueur de Marie. Arrête de faire l’intéressante et de tout compliquer. C’est un accident. L’enquête est close. Rompez.
Cependant, l’adolescent commence à se réveiller de son évanouissement. Mais sous le choc, il semble avoir perdu la mémoire. Il répète avec un sourire ravi : Quelle chance, quelle chance…
Ce fada est tout heureux d’avoir perdu la boule s’exclame le brigadier.
Mais non, reprend le jeune homme, comme dans un rêve, je n’ai pas perdu, j’ai gagné beaucoup, pas à la boule*, à la roulette*. Vive le cinq juillet, jour de l’anniversaire de mes dix-huit ans.
Il divague complètement le malheureux, poursuit le brigadier. Il s’est peut-être évadé d’un asile de fous ce qui expliquerait son accoutrement bizarre.
Pas du tout réplique Marie, qui trouve beaucoup de charme au jeune amnésique, le choc ne lui pas enlevé tous ses souvenirs. Ce qu’il dit explique tout et confirme avec évidence les autres indices.
Quelle évidence ?! Quels indices ?! hurle le brigadier, furieux d’être contredit par une si petite fille.
Qui suis-je ? Où suis-je ? Que vois-je ? Qu’ouïs-je ? murmure l’adolescent d’un air égaré.
Vos papiers, vocifère le brigadier.
Mais le pauvre garçon n’a sur lui qu’une lettre de sa mère ainsi rédigée :

*La boule et la roulette sont des jeux de hasard que l’on pratique dans les casinos. Il est interdit d’y jouer avant dix-huit ans

Bon anniversaire mon chéri.
Pour fêter tes dix-huit ans, je t’envoie une carte d’invitation pour le bal du casino et quatre billets de cinq cents euros pour ta soirée.
Mets ton smoking blanc et tes souliers vernis, tu seras le plus beau, le plus admiré et je serai fière de toi. Un conseil, si tu veux gagner gros joue directement sur un numéro. S’il sort tu encaisseras trente cinq fois ta mise.
Ta mère qui t’aime.

Marie, toute attendrie, regrette de ne pas être en âge d’aller au bal pour pouvoir danser avec ce charmant garçon.
Mais le brigadier la regarde d’un air soupçonneux. Il n’a plus ses deux mille euros sur lui, crie-t-il. C’est toi qui les a volés, petite garce. Rends l’argent et disparais. Je ne veux plus te voir ni surtout t’entendre car tu me brouilles la cervelle avec tes remarques saugrenues.
La stupidité a des limites rétorque la fillette avec impatience. Si votre enquête est terminée, la mienne aussi . Voila ce qui s’est passé.
Cette nuit, en sortant du casino qui domine la calanque, ce joli garçon s’est fait attaquer par un nabot qui lui a volé soixante dix mille euros après l’avoir assommé d’un coup de gourdin. Croyant avoir tué sa victime, le monstre a paniqué. Il l’a descendue sur son dos jusqu’à la plage où nous sommes actuellement. Puis il a camouflé son crime en accident. Il voulait ainsi faire croire à la chute d’un garçon romantique venu seul rêver d’amour face à la mer par une belle nuit d’été. La ruse a bien failli réussir car vous avez foncé dans le panneau tête baissée.
Après cette mise en scène, le forban a regagné le port par le bord de mer. C’est lui que j’ai vu s’enfuir au petit matin sur une jonque.
Son erreur fut d’avoir échangé ses vieux godillots contre les souliers vernis de sa victime, idiotie qui m’a mis la puce à l’oreille.
Voila plus de deux heures qu’il vogue à toutes voiles vers l’Afrique avec l’argent de ce pauvre garçon. Vous avez perdu assez de temps. Prévenez la police maritime pour qu’elle donne la chasse à ce brigand.
Ebranlé par tant d’assurance, le brigadier commence à douter de son flair. Comme il ne veut pas perdre la face, il demande à Marie d’un air détaché : gamine, ton imagination m’amuse. Je serais curieux de savoir à partir de quels semblants de preuves tu as inventé cette invraisemblable histoire.
Pour vous punir de m’avoir accusée de vol, je devrais vous laisser patauger encore un peu, déclare Marie d’un ton moqueur. Mais comme le temps presse je vais éclairer votre lanterne.
Voila, c’est extrêmement simple.
Celui qui a dévalé la dune cette nuit était lourdement chargé. Il suffit d’examiner ses empreintes pour voir qu’il s’est enfoncé dans le sable jusqu’aux genoux. Il est de très petite taille car la profondeur de ses traces ne dépasse pas trente centimètres. Il a donc des jambes très courtes.

Le brigadier
Pour s’amuser, le jeune homme est peut-être descendu en roulant sur lui-même comme un tonneau. Ca expliquerait sa blessure à la nuque et que tu l’ais trouvé couvert de sable. Le nain a pu descendre sur la plage bien avant. C’est peut-être un contrebandier qui était chargé d’un lourd butin.

Marie
Se rouler par terre en smoking ! Vous avez déjà vu ça vous ?
Non, vous n’y êtes pas du tout. ON l’a aspergé de sable pour faire croire à une chute suivie d’un déboulé jusqu’à la plage.
D’ailleurs, le nain n’est reparti qu’à la fin de la nuit. Si je n’ai pas trouvé de crabes au petit matin, c’est qu’il les avait effrayés juste avant mon passage, en courant sur les rochers.



Le brigadier
Ce n’est pas invraisemblable. Mais comment peux-tu affirmer qu’on a volé soixante dix mille euros alors que sa mère ne lui en avait envoyé que deux mille ?

Marie
Justement. Nous savons qu’il a joué à la roulette et qu’il a gagné gros. Ca l’a fortement marqué. C’est même la seule chose dont il se soit souvenu en reprenant ses esprits. C’était donc un forte somme.
Le reste est facile à deviner. Il a joué ses deux mille euros sur le cinq, jour de son anniversaire, ou sur le dix huit, âge de sa majorité et remporté trente cinq fois sa mise, ce qui fait soixante dix mille euros. Il suffira de se le faire confirmer par le directeur du casino.
Etes- vous convaincu maintenant ?

Le brigadier (embarrassé)
Disons que tu n’as peut-être pas tort. Disons que tu as peut-être raison. Disons que je n’ai peut-être pas raison. Disons…

Marie (interrompant le brigadier)
Ce que vous voulez dire, dites le nettement, nous gagnerons du temps.

Le brigadier
D’accord, c’est toi qui es dans le vrai. Il ne me reste plus qu’à faire arrêter ce malandrin.


Marie
Vous devez aussi présenter vos excuses à ce jeune homme que vous avez traité de godelureau alors qu’il est tout charme et délicatesse.

Le brigadier
Oui, je regrette de l’avoir brusqué. Je regrette encore plus de m’être trompé en croyant à un accident. Quand mes chefs sauront que c’est toi qui a tiré l’affaire au clair, c’en sera fini de mon avancement jusqu’à la fin de ma carrière.

Marie
Ils ne le sauront pas. Je dirai que c’est vous qui avez tout deviné. Au fond, vous êtes un brave homme et je veux vous aider. Ne vous faites pas de soucis, nous fêterons bientôt vos galons d’adjudant.

Le brigadier
Merci ma petite Marie. Tu es la fille la plus gentille et la plus intelligente que je connaisse. Je te promets de ne plus mettre de contraventions à ta tante Caroline même quand elle embouteillera toute la ville en prenant des sens interdits comme elle le fait si souvent.

Rasséréné, le brigadier regagne la gendarmerie en compagnie de Marie et du jeune homme qui, tout à fait ravigoté, confirme en tous points le scénario décrit par la fillette.

Quelques heures plus tard, une vedette de la police maritime entre dans le port avec, à son bord, menottes aux poignets, le nabot déconfit…et les soixante dix mille euros.

Finalement, l’aventure se termine dans le meilleur restaurant de la ville où le jeune homme invite Marie, le brigadier et, bien sûr, la tante Caroline, pour un grand festin d’amitié.

jeudi 22 avril 2010

Après ma mère, ma soeur

Quand elle avait une quinzaine d’années, Suzanne tenait un journal intitulé « LA GAZETTE : Journal sélect pour les gens de goût et d’esprit de la Côte d’Azur et des environs ».
J’en extrais une critique cinématographique particulièrement rigolote.

« SAMSON ET DALILA »

Un film comme celui-là, ça fait époque. C’est un point de repère dans les souvenirs : « l’année du plus mauvais film qu’on ait jamais vu ».
Hédie Lamarr est inoubliable dans le rôle de Dalila. Elle est étonnante de ridicule et joue de la prunelle à faire rougir nos apprenties vamps.
Hédie Lamarr c’est un cas. Elle est devenue d’une laideur biblique : taille en cellulite, estomac proéminent, pattes d’oies géantes, mains genre sorcière de Blanche-Neige et calvitie prononcée qui fait penser qu’elle coupe les tifs de Samson par jalousie mesquine.
On ne s’ennuie pas une minute tant on rit.
Le plus drôle, c’est la noce de Samson, troublée par la perfide Dalida qui prend des airs maléfiques que personne ne remarque car elle est cachée derrière un pilier. L’hymen se termine par une grande tabasserie. Samson traite Dalida de putain, ce qui la fait pâmer. Ca lui donne des idées et elle devient la favorite du roi des philistins. Samson a vraiment une mauvaise influence sur les jeunes filles.
Dans le combat avec le lion, on est avec cette pauvre bête qui vient gambader et qui se fait traîtreusement zigouiller.
Il faut avoir vu « Samson et Dalila ».
Cécil B de Mille s’est bien fichu de nous.
Renée Fabrice, alias Suzanne Sagot-Duvauroux




jeudi 1 avril 2010

A la Gloire de ma mère

Le texte qui suit est un article que j’avais publié dans la revue de la Banque de France.
Il est écrit par ma mère, donc votre grand-mère et arrière grand-mère.
C’est une évocation des livres -La Gloire de mon Père et La Château de ma Mère- où Marcel Pagnol raconte ses souvenirs de vacances enfantines dans les collines provençales encore sauvages et presque inhabitées.
J’ai rarement lu une analyse littéraire aussi juste, intelligente, émouvante. Elle témoigne de la finesse d’esprit, la sensibilité et la qualité d’écriture de celle qui fut l’une des femmes les plus cultivées et talentueuses de son époque. C’est pourquoi je l’inscrit pour vous sur mon blog, à « la Gloire de ma mère ».



LA PROVENCE DE PAGNOL





Il n’y a pas chez nous de province plus chantée, plus aimée, plus enviée, plus connue, semble-t-il, que la Provence.
Provence de Mistral, de Roumanille, de Daudet, Provence des « félibres » découverte avec délices par des lecteurs d’une époque déjà révolue. Provence de Giono, rude et âpre, magnifiée par un génie poétique vigoureux et libre, qui projette dans les nues la réalité et prend au corps le quotidien pour le précipiter jusqu’aux enfers ou le hausser jusqu’aux étoiles. Provence de Colette, rassemblée autour de l’auteur à la taille d’une « placette » et d’un jardin odorant où poussent l’ail, l’aubergine et la « treille muscate ». Provence des artistes, avec ses coteries, ses chapelles, ses écoles. Provence des « vacanciers », hurlante de klaxons et empestée d’essence quand l’autoroute coule à pleins bords vers les « Grandes Bleues », les « Oustaous », les « Mon Bastidons », et autres bicoques ou casinos.
Mais tout cela réuni laisse intacte la Provence de Pagnol.
Où est-elle ?
Nous ne l’avons pas trouvée dans ses pièces, la porte du bistrot de César ouvre moins sur elle que sur le chemin liquide des Iles-sous-le-Vent et les mirages de l’Asie ; ce sont ses souvenirs d’enfance qui nous y font pénétrer, nous y guident et nous y retiennent.
Nous voici à deux pas de Marseille, dans un univers inconnu, à la fois illimité et clos comme le sont les mondes enfantins. Là, un petit garçon de douze ans se sauve tout un jour dans la colline ; tout un jour, et bien des jours, il peut aller de touffe en touffe, de garrigue en garrigue, de découverte en découverte. Innocent et cruel, il tend des pièges, tue un serpent monstrueux, médite de se faire « hermitte », profane la caverne terrifiante où niche « libou ». Là, Lili, le petit camarade paysan qui ignore la frange maquillée de sa province et n’a peut-être jamais vu la mer, fait la cueillette des olives, fauche les herbes rêches, et rappelle au petit citadin en vacances qu’on ne peut pas toujours s’amuser : « Ce matin on peut pas aller aux pièges, je suis été avec mon père au chant de Pastan. Viens, on mange sous les pruniers, Viens. »
Ce monde démesuré de l’enfance, il est aussi pour les « grands » à la taille de leur désir d’évasion, de leur goût de liberté, de dépaysement. La tante Rose y gémit quelque peu, si loin du confort de la ville, et regrette le Gaz (majuscule !). Mais l’instituteur en vacances respire un air d’aventure et chasse les bartavelles, ces « Perdrix du roi » qui feront sa « gloire ». Mais la ravissante et fragile Augustine y tremble en entendant « les cris du garde et le soufflement rauque du chien », dans cette propriété redoutablement « privée » qui sera un jour, plus tard -trop tard- le « château de ma mère ».
Cette Provence à la fois féérique et naturelle, débarrassée de ses palmiers, de ses golfs-miniature, de ses relents d’ambre solaire, redonnée aux bêtes familières ou sauvages, à la tranquille famille de l’instituteur, cette Provence redevenue authentique et terrienne, inconsciente de sa beauté et qui ne sait pas qu’elle a son nom dans toutes les langues et tous les argots du monde, c’est la Provence de Pagnol.
Mais Pagnol n’a plus douze ans. Qu’est devenu son univers enfantin ? Peut-on se perdre encore tout un jour dans ses collines ?... Jusqu’où Marseille a-t-elle poussé sa conquête dans la direction de la Bastide Neuve ?... Le voyage durait quatre heures pour le petit Marcel et sa famille, et sa mère espérait bien qu’un jour, le tramway…
« Quand nous aurons le tramway, les enfants porteront les moustaches », répondait le père, pessimiste. Marcel Pagnol n’a peut-être jamais porté la moustache, mais, hélas, il ne faut sans doute plus quatre heures, dont deux à pied, pour arriver aux Bellons, si loin au-delà des Accates, au-delà des Camoins, au-delà de la Treille.
Le monde du petit Marcel a basculé de « l’autre côté du temps ». Lili, depuis longtemps, n’est plus. En 1917, il est tombé « dans une noire forêt du Nord… sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms ». Paul, le petit frère, a grandi, est devenu un homme, et puis est mort. Et dans le domaine de Pagnol, qui fut ce château hostile où Augustine eut si peur, seul un tendre fantôme demeure que son fils a rencontré et reconnu : « Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle ne savait pas qu’elle était chez son fils ».
Oui, peut-être, la Provence de Pagnol est-elle aujourd’hui toute entière dans ces pages des Souvenirs d’Enfance, mais elle y est sauve et impérissable. Ne triomphe de l’oubli que ce qui le mérite et tout ici vaut de durer.
…Et puis -qui sait ?- la réalité est quelquefois moins impitoyable que ne l’imaginent nos appréhensions, et la nature rétive a des ruses contre l’envahissement des hommes… Peut-être demeure-t-il quelque part assez de l’éden sauvage du petit Marcel pour que quelque voyageur y retrouve « de ce côté du temps », les bartavelles prestigieuses, les libres plantes et leurs arômes, le vent qui parle de pluie et de beau temps, les buissons intacts, les rochers à peine écornés, les précipices toujours creux, et, sous une touffe hérissée d’épines, quelque piège rouillé.

Anne Valray

vendredi 26 mars 2010

Lucas et le grand rassemblement des araignées

Lucas est un jeune garçon d'une douzaine d'années.
Le courage et l'intelligence brillent dans ses yeux noirs.
Il habite avec sa mère dans une jolie maisonnette, au dessus de Banolin, charmante bourgade au bord de la Méditerranée. Les gens y sont pacifiques, surtout le maire, qui tient le magasin d'articles de pêche sur le port. C'est un gros homme très gentil mais très hésitant. Il ne décide jamais rien sans demander conseil à Lucas.
A Banolin, tout le monde sait que Lucas est le plus avisé du pays... Les mauvaises langues disent même que c'est lui le véritable maire.

Il est midi. Il fait beau.
Lucas et sa mère dégustent une bonne soupe de poissons car ce matin Lucas, qui connait tous les bons coins, a fait une excellente pêche.
Le téléphone sonne.
LUCAS (à sa mère)
je parie que c'est encore le maire qui m'appelle à son secours !
LUCAS (au téléphone)
Allo ! Monsieur le Maire ?... Qu'est-ce qui ne va pas ?

LE MAIRE (d'une voix implorante)
Allooo... Lucaaas...Regarde vers le nord ce qui arrive !!!

Lucas n'en croit pas ses yeux.
Les collines qui dominent Banolin sont coiffées d'une masse noire et grouillante, de plusieurs mètres d'épaisseur.


LE MAIRE (gémissant)
C'est le Grand Rassemblement des Araignées ! Il a lieu tous les cent ans. Cette fois, elles ont choisi Banolin pour tenir leur congrès. Elles commencent à descendre vers nous !!!... Bientôt, il y en aura plein les rues, plein les maisons... Elles vont nous dévorer tous !!! Lucaaas, Lucaaas... Au secours !!!

LUCAS
Ne nous affolons pas, Monsieur le Maire. Nous avons deux bonnes heures devant nous... Je finis ma soupe de poissons et j'arrive.

Que feriez-vous, pauvres petits lecteurs, à la place de Lucas, pour arrêter cette avalanche d'araignées ?
Vous recouvririez peut-être les collines de glu pour que les envahisseurs s'y collent ? Malheureux, ça ne suffirait pas ; il y a plus de cent couches d'araignées ; la première serait bien empoissée mais les autres dévaleraient.
Vous arroseriez peut-être cette méchante armée avec un canadair ? Malheureux, Banolin serait noyé sous une bouillie noire et grouillante.
Vous allumeriez peut-être une barrière de feu ?
Malheureux, dans le midi la végétation est si sèche que l'incendie ravagerait toute la Provence.

Lisez plutôt ce que fait Lucas.
Il finit tranquillement de manger sa soupe de poissons, embrasse sa mère et descend vers la mairie.
Rassemblés sur la place du village, les banolinais, muets de terreur, regardent s'approcher la sinistre troupe. Au milieu d'eux, le maire, effondré dans un fauteuil de square, pleure à chaudes larmes.
Soudain, une immense rumeur d'espoir monte de la foule.
-Lucas ! Voilà Lucas !


LUCAS
D'après vous, Monsieur le Maire, combien y a-t-il d'araignées ?

LE MAIRE
Tu te moques de moi, Lucas ! Comment pourrais-je les compter?

LUCAS
C'est ce que je voulais vous faire dire : elles sont in-nom-bra-bles !

LE MAIRE
Oui, Lucas, c'est terrible !!!... Elles sont innombrables !!! Les moyens classiques -balais, insecticides, lances d'incendie, grenades lacrymogènes- seront impuissants. Nous sommes perdus !!!

LUCAS
Courage Monsieur le Maire, la population compte sur vous.

LE MAIRE
Sur toi, Lucas, sur toi !!!

LUCAS
Laissez-moi réfléchir cinq minutes.

LE MAIRE
Fais vite Lucas, fais vite !!!

LUCAS
Eh! bien, voilà. On ne peut pas les détruire. On ne peut pas les arrêter. Alors il faut les guider.

LE MAIRE
Comment, Lucas, comment ??



LUCAS
Vous voyez cette mygale de la taille d'un gros chien qui marche à leur tête ?

LE MAIRE
Oui, je la vois. Elle me fait une peur !!! Je comprends, Lucas ! Tu vas tuer le chef et la troupe sera désorganisée.

LUCAS
Mais non ! Sans guide, les araignées se répandraient sur tout le littoral et ce serait pire.
Je vais leur donner un faux roi. Et ce faux roi ce sera vous.

LE MAIRE
LucaaaAAAS !!!!

LUCAS
Le costumier du théâtre va vous faire une panoplie d'araignée. Vous la mettrez et vous irez vous cacher dans les bosquets que l'on voit à mi-côte. Quand la mygale les atteindra, je la tuerai avec mon fusil à lunette.

LE MAIRE
Ne te trompe pas de mygale, Lucas !!!

LUCAS
N'ayez crainte, Monsieur le Maire. Quand la monstrueuse bête sera morte, vous sortirez des feuillages et vous prendrez sa place à la tête des araignées. Vous les conduirez par le ravin qui descend jusqu'à la mer. Le plus difficile sera de marcher à huit pattes. Sur la plage, vous monterez dans un pédalo et vous gagnerez le large. Les araignées sont tellement disciplinées qu'elles vous suivront aveuglément et se noieront dans la baie.

Tout se passe comme Lucas l'a prévu et, le soir, les Banolinais fêtent leur délivrance autour d'une gigantesque et délicieuse soupe de poissons.

lundi 15 mars 2010

Tranche napolitaine

(Deuxième épisode)

Un an plus tard, Michel fut nommé, sur la recommandation du Maire de Naples, au poste d'attaché culturel au Consulat de France.
C'est le visage rayonnant d'optimisme qu'il se présenta à Madame le Consul*. Celle-ci, la cinquantaine agressive, un physique de rat déterminé, l'écouta d'un air maussade exposer avec enthousiasme son programme de restauration du prestige de la culture française mis à mal par l'inertie de son prédécesseur.
Excédée par un discours qui la visait aussi, la sous-ambassadrice finit par interrompre sèchement ce nouveau venu qui lui faisait la leçon.
_ « voici vos horaires : 8h.30-12h.30 14h-18h. Soyez chaque jour à 16 heures dans mon bureau, je vous dicterai le courrier ; l'Etat Français est si radin que nous n'avons pas de secrétaire. »
Atterré par cet accueil très éloigné de ses rêves d'homme de gauche adepte de l'implication des Pouvoirs Publics dans la vie culturelle, Michel se retira dans le minuscule bureau qui lui était alloué : un ancien débarras sans fenêtre où traînait encore un jeu de balais et de serpillières.
Son premier geste fut d'accrocher au mur un tableau dont un peintre renommé lui avait fait cadeau et qui représentait un éclair noir sur un ciel vert.

Le lendemain, à huit heures trente, Madame le Consul fit irruption dans le bureau de son subordonné. « Ah non, pas de ça ici ! » s'écria-t-elle à la vue du tableau. « Un éclair noir ! C'est confondre un phénomène atmosphérique avec une pâtisserie au chocolat ! Un ciel vert ! Ma parole, ce daltonien prend le firmament pour une prairie ! Vous allez me faire le plaisir de repeindre cette croûte aux couleurs de la nature. »

*Le consul qui avait sauvé Caroline et Michel de la grillade avait été destitué pour offense envers la Mafia.


Horrifié par ce caporalisme obtus, Michel comprit que rien ne serait possible sous la férule de cette virago et, son tableau sous le bras, s'enfuit du consulat en hurlant sa démission.


Michel connaissait un docteur en sciences humaines qui avait été détaché par la Faculté d'Angers pour apprendre aux napolitains les conséquences des crues de la Loire sur le comportement des habitants de l'île de Béhuard.
Cette petite commune est périodiquement submergée jusqu'au clocher de l'église, ce qui oblige les cent-vingt-trois Béhuardais à porter en permanence une bouée autour de la taille avec les conséquences que l'on imagine sur la mode locale, l'ambiance des bals populaires et la chute de la natalité.
De mauvais esprits pourraient penser que le sujet était bien mince pour meubler trois années d'études. Ce serait ignorer que le professeur angevin avait astucieusement relié ce drame insulaire à deux évènements majeurs de notre époque : le réchauffement de la planète et la prolifération des obèses.
Il soutenait que les inondations géantes provoquées par la fonte des glaces allaient transformer l'humanité en une espèce amphibie. Selon lui, L'Evolution, prenant exemple sur la prévoyance béhuardaise, était en train de greffer sur les humains une bouée biologique destinée à les sauver d'un nouveau déluge. Telle était la cause de l’obésité galopante qui, après avoir engraissé les Etats-Unis, tendait à gonfler l’humanité toute entière.
Encore fallait-il se prêter à cette transformation. Malheureusement, par crainte de perdre la publicité des produits amaigrissants, les médias n'avaient fait aucun écho à cette découverte qui réhabilitait l'embonpoint.
Inconscientes du danger et victimes de l'idolâtrie de la planche à pain, les femmes s'obstinaient à suivre des régimes suicidaires, préparant ainsi l'avènement d'une société presque entièrement masculine. Faute d'être avertis de la victoire programmée du look Botero sur la ligne Giacometti, les grands couturiers, recruteurs de mannequins anorexiques, ourdissaient à leur insu le naufrage spectaculaire des défilés de mode.

Michel se réfugia chez ce penseur audacieux dont il admirait le génie visionnaire. Mais il s'aperçut bientôt avec stupeur que ce brillant universitaire était un bourreau d'enfant.
Son fils, âgé de quatorze ans, un miracle d'intelligence et de gentillesse, aurait bien voulu posséder un téléphone portable. Il offrait même d'en payer l'abonnement avec le très maigre argent de poche que lui concédaient ses parents.
Le père indigne opposait aux demandes multi quotidiennes de son fils des arguments soi-disant éducatifs dont la mauvaise foi révoltait.
Michel assista, au cours du dîner, à l'une de ces joutes verbales révélatrices de la tyrannie paternelle.
- Le langage abrégé des textos sabote l'apprentissage de la grammaire et de l'orthographe. Je ne veux pas qu'un fils illettré me fasse rater les palmes académiques.
- Mais non papa, mon professeur de français dit que la traduction d'une langue, même dans un idiome élémentaire, en améliore la connaissance. Tu nous as toi même vanté cent fois les vertus pédagogiques du thème dont tu décrochas, paraît-il, le premier prix au Concours Général. Et puis, ne sois pas inquiet pour ton magot, la contraction des SMS permet de correspondre au moindre coût. Au lieu de "je t'aime papa", je t'écrirai "T'M PA." Quatre lettres au lieu de onze ; plus de soixante pour cent d'économie.
L'insolence du propos qui, par bonheur, avait échappé au père abusif, fit sourire Michel qui prit la défense de l'adolescent.
Ce jeune homme a raison dit-il à l'odieux parâtre. Seriez vous l'un de ces vieux réacs qui, depuis l'origine de l'humanité, freinent la marche du progrès ; un clone de ces primates qui se cramponnèrent aux arbres pour échapper à l'hominisation ; un séide de ces seigneurs arrogants qui, sourds aux gémissements de leurs domestiques, imposèrent jusqu'à la Révolution Française l'usage de la chaise à porteurs ; une réplique de ces lourdauds qui niaient la possibilité de voyager dans les airs malgré l’exemple des oiseaux migrateurs.
Michel était de mauvaise foi car il se sentait solidaire de ces Don Quichotte qui luttaient en vain contre la marche du temps. Mais il fallait bien confondre ce père dénaturé.

Le lendemain de cette scène douloureuse, Michel prit congé de son ex ami et se rendit chez le Maire de Naples. Celui-ci mariait sa fille cadette avec le fils du Président du Sénat et donnait une fête somptueuse à laquelle Michel fut chaleureusement convié.
L'assemblée était prestigieuse. En ses qualités de premier magistrat et de chef de la Maffia, le maître de maison avait réuni la fine fleur de la pègre et de la haute société. Dans les jardins illuminés se côtoyaient en bonne intelligence des caïds de la drogue et des généraux chamarrés, des vedettes tout sourire et des maquerelles embourgeoisées, des banquiers partouzards et des cardinaux somptueux en robes écarlates...
Michel était très à l'aise parmi ces gens fortunés nullement effarouchés par son allure d'homme des bois, les artistes étant, à leurs yeux, dispensés de tout protocole. Bien qu'il s'en défendît, il adorait les conversations mondaines qu'il trouvait, à juste titre, plus attrayantes que le discours prétentieux de certains intellectuels autoproclamés. Son érudition lui permettait d'aborder avec bonheur presque tous les sujets et de débattre aussi bien avec des ministres que des guérilleros, des princes de l'église que des bouffeurs de curés, des académiciens que des crétins des Alpes... Bien qu'il se voulût misanthrope, il était d'une nature conviviale et chacun recherchait sa compagnie.
Il est navrant de penser que Michel n'ait pu trouver un peu de chaleur humaine qu'auprès d'une organisation criminelle, mais c'est ainsi. Les maffiosi ont peut-être des défauts mais il faut reconnaître que la cordialité de leur accueil pourrait servir d'exemple à certains (ou certaine) de nos fonctionnaires à l'étranger.
Toujours est-il que Michel passa dans les ors napolitains une soirée délicieuse, à peine assombrie par l'explosion du gâteau de mariage. Pour finir, le maire l'invita à demeurer dans sa somptueuse villa du bord de mer et, connaissant son goût pour le jardinage, promit de lui trouver un emploi dans la culture du pavot.

lundi 8 mars 2010

Anges et démons : imagerie poétique




Les anges et les démons sont invisibles. Une aubaine pour les poètes qui, libérés des contraintes sensorielles, peuvent les imaginer au gré de leur inspiration.
Il n'y a pas grand-chose de commun, en dehors de leur immortalité, entre la multitude des "daimons" remuants et tracassiers fréquentés par Ronsard et le formidable et tragique prédateur mis en scène par Victor Hugo dans "la Fin de Satan".
Guère de ressemblance non plus entre l'inaltérable perfection des anges jalousement implorés par Baudelaire dans "Réversibilité" et "l'Eloa" d'Alfred de Vigny, sorte de super star hollywoodienne succombant au charme ténébreux de Lucifer.
L'imaginaire foisonnant des poètes ne s'embarrasse pas de définitions théologiques. Leurs créatures surnaturelles reflètent leur identité littéraire et leur appréhension personnelle des mystères de l'au-delà.
-Curiosité gourmande et bon-enfant chez Ronsard.
-Démesure visionnaire de cet adepte des sciences occultes que fut Victor Hugo.
-Angoisses de l'âme tourmentée de Baudelaire, engluée dans les paradis artificiels et pourtant tendue vers une inaccessible pureté.




❖ Pour Ronsard, les anges et leurs frères les démons sont des esprits familiers dont il décrit le comportement avec la précision d'un entomologiste et la naïveté savoureuse qui caractérise l'imagerie religieuse du Moyen Age. Sur un tel sujet, Ronsard est plus proche de l'âge gothique que de la Renaissance.

HYMNE AUX DAIMONS
(extraits)

Quand l'Eternel bastit le grand palais du Monde,
Il peupla de poissons les abysmes de l'onde,
D'hommes la terre, et l'air de Daimons, et les cieux
D'anges, à celle fin qu'il n'y eust point de lieux
Vides de l'Univers, et selon leurs natures
Qu'ils fussent tous remplis de propres creatures.
Il mist auprès de luy, son plaisir le voulut,
L'escadron precieux des Anges, qu'il eslut
Pour citoyens du ciel, qui sans corps y demeurent,
Et, francs de passions, non plus que luy ne meurent ;
Esprits intelligents, plus que les nostres purs,
Qui cognoissent les ans tant passez que futurs,
Et tout l'estat mondain, comme voyant les choses
De pres au sein de Dieu, où elles sont encloses.
¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨
Les daimons, au contraire, apportent sur la terre
Pestes, fièvres, langueurs, orages et tonnerre ;
Ils font des bruits en l'air pour nous espoventer,
Ils font aux yeux humains deux soleils presenter,
Ils font noircir la lune horriblement hideuse,
Et font pleurer le ciel d'un pluye saigneuse ;
Bref, tout ce qui se fait en l'air de monstrueux
Et en terre çà-bas ne se fait que par eux.
Les uns vont habitant les maisons ruinées,
Ou des grandes citez les places destournées
En quelque carrefour, et hurlent toute nuit,
Accompagnez de chiens, d'un effroyable bruit.
Vous diriez que cent fers ils trainent par la ruë,
Esclatant une voix en complaintes aiguës
Qui resveillent les coeurs des hommes sommeillans,
Et donnent grand'frayeur à ceux qui vont veillans
Certainzs vont habitant
Autour de nos maisons et de travers se couchent
Dessus nostre estomacq, et nous tâtent et touchent.
Ils remuent de nuict bancz, tables et treteaux,
Clefz, huys, portes, buffetz, licts, chaires, escabeaux,
Ou comptent nos tresors ou gectent contre terre
Maintenant une épée, et maintenant un verre :
Toutefois au matin on ne voit rien cassé,
Ny meuble qui ne soit en sa place agencé...
¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨
Aucunesfois malins entrent dedans nos corps,
Et, en nous tourmentant, nous laissent presque morts,
Ou nous meuvent la fièvre, ou, troublant nos courages,
Font nos langues parler de dix mille langages.
Mais si quelcun les tence au nom du Très-Puissant,
Ils vont hurlant, criant, tremblant et frémissant,
Et forcez sont contraints d'abandonner la place,
Tant le sainct nom de Dieu leur est grande menace !

Pierre de Ronsard



❖ Les tourments existentiels de Baudelaire nous valent l'un des poèmes les plus harmonieux et les plus émouvants de la langue française dont la facture classique exprime de façon poignante les angoisses de l'auteur des Fleurs du Mal.

REVERSIBILITE

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté ;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières



Charles Baudelaire : Les fleurs du mal


jeudi 25 février 2010

La Sainte Famille



L'Enfant Jésus. Il était bien connu dans son village...
Ses parents, ses voisins l'embrassaient comme du bon pain.
La Sainte Famille était sûrement bien vue. Malgré les ragots, la calomnie, les gens savent très bien reconnaître la sainteté.
A quoi pouvaient donc jouer les enfants dans ce temps là ?
A cache-cache? Jésus tu t'y colles !Quelle joie dans Sa maison !... le travail du bois, l'accueil ; mieux que l'humilité, mieux que la modestie : la simplicité.
Les femmes devaient confier leurs misères à Marie, raconter leur vie. Quelle finesse d'écoute ! Quel baume pour les cœurs blessés. Du coin de l'œil, elles regardaient Jésus ; tant de grâce souveraine, est-ce possible ?
Les hommes devaient entretenir Joseph de leurs projets. Le consulter, mine de rien, lui l'homme de bon conseil... et si fraternel.
Ils regardaient travailler le père avec le fils; quel métier, quelle justesse de mouvements, quelle harmonie !
Comme ils s'entendent, sans presque rien se dire.

samedi 13 février 2010

Petit bébé au concours hippique

Chanson sur l’air bien connu de « Petit Bébé »


Petit bébé de la montagne,
Petit bébé de la forêt.
I s'en allait dans la campagne
I s'en allait se promener.

Un jour bébé vient à la ville,
Voit une foule rassemblée.
C'est pour un grand concours hippique,
La coupe de France des poneys.
Le favori c'est le beau Louis
Déjà champion l'année passée.
Vive Loulou hurle la foule,
C'est encore toi qui va gagner.
Pauvre Loulou s'dit p'tit bébé,
Ta médaille tu peux t'l'accrocher
Car cette année j'vais m'engager.

Sur la piste bébé s'présente
Monté sur un très gros poney.
"Bonjour messieurs, bonjour mesdames,
C'est moi qui suis petit bébé,
Préparez l'prix, j'vais l'remporter".
Microbe dit le juge-arbitre
Comment peux-tu donc espérer
Juché sur ce poney-saucisse
Aux grands champions te mesurer ?
Ce parcours est le plus terrible
Vu de mémoire de cavalier.
Louis, l'idole du monde hippique,
Est tombé quatre fois de suite
Et vingt obstacles a renversé.
Renonce donc, pauvre moustique,
Ou tu vas te casser le nez.

De vos conseils je me tape
Répond tout fier petit bébé.
Arrêtez d'me faire la morale
Contentez vous d'faire vot'métier.
Donnez l'départ, vous allez voir
Ce que sait faire petit bébé.
La cloche sonne, que se passe-t-il ?
Petit bébé semble voler.
D'un saut il franchit cinq obstacles,
En quat'bonds l'parcours est bouclé.
Petit bébé rentre au paddock
Avec son poney grassouillet.
Quand il ressort, vision baroque,
L'animal a réduit d'moitié.
C'est que bébé qu'est loin d'êt' bête
Avait revêtu son poney
D'une combinaison gonflée
Avec un gaz(e) très léger.
Ainsi d'un simple coup de patte
Sa monture pouvait sauter
Beaucoup plus haut, beaucoup plus loin
Que le meilleur des équidés.

Bébé va recevoir son prix,
Un prix pas vraiment mérité,
Pendant que le pauvre Louis,
Vert caca d'oie de jalousie
Hurle à la mort à faire pitié
En se roulant dans le fumier.
Bébé lui dit : viens mon cher Louis,
Ce prix c'est toi qui l’as gagné
Car ma victoire était truquée.
Prends cett'médaille, elle te revient.
Tu es l'meilleur des cavaliers.
Pour moi, je ne regrette rien
Car je me suis bien amusé.
Et maintenant comm’ deux copains
Buvons le verre de l’amitié.
Et maintenant comm' deux copains,
Buvons le bibe'ron de l’amitié.

dimanche 7 février 2010

MON AMI L'ECUREUIL - Maurice Genevoix

Joseph Kessel disait de Maurice Genevoix qu'il était le poète des harmonies naturelles.
Nul mieux que l'écrivain solognot n'a su décrire, en effet, les liens subtils qui unissent l'homme à son environnement naturel et, particulièrement, au monde des bêtes et des plantes.
Ni ses diplômes prestigieux - il fut reçu premier à l'Ecole Normale Supérieure- ni les épreuves de la guerre de 1914-18 dont il revint grièvement blessé, ni sa célébrité d'écrivain - il obtint le prix Goncourt pour son roman "Raboliot" et fut longtemps Secrétaire Perpétuel de l'Académie Française - n'altérèrent cette communion avec la nature qui resta, toute sa vie, la source intarissable de son inspiration poétique.
Ce champion universitaire note en toute bonne foi qu'il n'a rencontré, dans son apprentissage, aucun maître à penser ou à écrire, et reconnaît sans fard ses maîtres véritables : tels pêcheurs, forgerons ou menuisiers de son enfance, tel piqueux de Sologne, ou tel trappeur du Grand-Nord Canadien.
Il est émouvant que cet homme mutilé par la guerre, "cette espèce de farce démente qui tournoie autour de moi dans un trémoussement hideux, incompréhensible et grotesque", écrit-il en 1915 - ait aussi vécu ce qu'il considérait comme la plus belle aventure de sa vie : une amitié, le temps d'une après-midi, avec un écureuil sauvage, symbole mystérieux d'une réconciliation de l'homme avec la création.
Voici de larges extraits du récit - admirable de simplicité - de cette rencontre qui changea profondément le regard de Maurice Genevoix sur la vie animale.


MON AMI L'ECUREUIL

L'aventure que je vais vous dire m'attendait un jour à ma porte. C'est la plus simple, la plus humble peut-être, mais aussi la plus belle, je crois, de toutes les aventures qui me sont arrivées dans ma vie.

On était au début du printemps. Ce jour-là, comme d'habitude, j'avais poussé le portillon de mon jardin pour aller respirer l'air des pins. J'avais une compagne de promenade, la plus jeune de mes filles qui devait, en ce temps-là, avoir dix ans. Nous allions, entre les arbres aux troncs rougeâtres sur lesquels jouait le soleil d'avril. Des coups de brise poussaient dans le ciel bleu des nuages très blancs et faisaient courir sur la Loire des risées d'un bleu d'ardoise. Sylvie, ma fille, trottinant, cueillait dans l'herbe les fleurs du printemps. J'étais seul quand la chose arriva.
D'abord, dans les fougères sèches, un bruissement furtif et rapide. Je m'arrête net, songeant à une vipère : c'est la saison où elles se réveillent et se montrent tout de suite agressives. Non, j'ai beau regarder : pas de vipère...
De nouveau, les fougères tressaillent. Ah! je te vois, toi, mon gaillard!..
Il est peut-être à deux ou trois mètres, campé en chien sur son derrière, sa queue touffue dressée sur sa tête.
C'est un écureuil de l'année, un petit garçon-écureuil, espiègle, malin et gentil. Je lis tout cela dans ses prunelles, tandis qu'il me regarde ou plutôt me dévisage, la tête levée, tournée de côté, son vif œil noir fixé sur moi...
Qui cèdera ? Qui bougera le premier ? C'est lui. Tranquillement, aimablement, il fait vers moi deux petits sauts légers. Quand il touche presque mes brodequins, il se replante sur son séant, relève son museau rose et recommence à me dévisager...
A mon tour je fais un pas.
Bien entendu, je suis maladroit... Et ce que je craignais arrive : l'écureuil s'enfuit sous mes yeux... Je m'avance encore et la petite bête, la queue étalée en panache, saute sur le tronc écailleux d'un vieux pin et, comme tous les écureuils du monde, disparaît au revers de ce tronc...

Je me mis à tourner tout doucement, les pieds dans l'herbe, autour du vieux pin. Et l'écureuil tournait à mesure, cramponné des griffes à l'écorce, s'arrangeant pour toujours se maintenir du côté opposé au mien, mais en même temps hasardant de droite et de gauche des coups d'œil de plus en plus hardis, de plus en plus gais et malins.
Très vite, c'était devenu un jeu, un charmant jeu de cache-cache où il était plus fort que moi...
Il laissait ma main se promener sur l'écorce du pin, l'effleurer, le toucher par instant. Comment douter qu'il le fit exprès ? Il aurait pu, en un clin d'œil, s'élever très haut dans l'arbre, me fausser définitivement compagnie. Mais non. Si par hasard, dans la chaleur du jeu, il s'élevait jusqu'aux premières branches, aussitôt il redescendait, se maintenait à ma hauteur d'homme, à portée de ma main d'homme.
Je le touchais de plus en plus souvent, du bout des doigts d'abord, puis de la paume. Qui de nous deux était le plus ému ? Etait-ce moi de le toucher ainsi, comme à mon gré ? Ou lui de se laisser toucher ?
Quand enfin j'appuyai ma paume, tendrement, il s'immobilisa sous elle, me laissa le saisir, soulever vers moi son petit corps...
Peu à peu, il cessa de trembler dans ma main. Il s'était rassuré lui-même, peut-être mystérieusement averti par un courant d'ondes secrètes qui passait de mon corps dans le sien. Qui peut savoir de telles choses ?
Tout à coup, en signal d'armistice, en témoignage de confiante amitié, il a soulevé sa queue en panache, l'a déployée largement sur sa tête, aussi paisible dans ma main qu'il l'avait été tout à l'heure parmi les fougères des bois...

L'écureuil maintenant nous parlait. Je veux dire que par intervalles il poussait une sorte de grognement, guttural et léger : c'était comme un salut à notre adresse, accompagné d'un coup d'œil amical, la tête tournée sur le côté, un peu penchée, pour mieux nous regarder d'un œil...
Il y avait, au pied du vieux pin, un tapis de mousse ensoleillée qui paraissait nous inviter. Nous nous assîmes. Je tenais toujours l'écureuil. Une fois assis, je le lâchais, un peu anxieux de ce qu'il allait faire. Pourquoi ne pas l'avouer ? Je m'attendais encore à le voir s'éloigner, sauter dans l'herbe ou dans un pin voisin. Mais au contraire il demeura, trottinant devant nous en pleine lumière, soulevant son poil ardent qui semblait s'embraser au soleil.
Loin de s'achever, l'aventure commençait... Ma fille s'était assise sur son manteau. Il fut vite évident que ce qui l'attirait le plus, c'était ce manteau douillet, et surtout sa doublure de soie... Il ne s'éloignait plus, tapotait la souple étoffe, la caressait. En vérité, nous ne comptions plus guère pour lui. Mais comme cet oubli devenait émouvant ! Il nous prouvait que la douce petite bête nous faisait une confiance aveugle, ne redoutait plus rien de nous, une fois pour toutes. Nous faisions partie de son monde, et d'un monde qu'elle aimait, comme la mousse, les fleurs sauvages et les arbres...
Le soleil, cependant, baissait. Le froid devenait pénétrant. L'écureuil le sentait comme nous, se blottissait plus étroitement dans le creux soyeux du manteau : un creux à sa juste mesure, qu'il façonnait petit à petit avec un merveilleux instinct. Se tournant de droite et de gauche, d'un flanc sur l'autre, poussant du nez, de la hanche, de l'épaule, il avait l'air de modeler un nid. Là... C'était fait. Encore deux ou trois tapotements, il n'y a plus qu'à se lover en rond, le museau contre les pattes de derrière, à fermer doucement les paupières et, mon Dieu oui, à s'endormir...
Combien de temps sommes-nous restés, à regarder l'écureuil endormi ? Je ne le sais plus, mais longtemps. Je me rappelle qu'insensiblement le soir s'est élevé des terres. On dit que la nuit descend ; mais ce n'est pas vrai, elle monte. Elle a monté des talus, du sous-bois. J'ai vu que Sylvie frissonnait...
Il fallait songer au retour, reprendre le manteau... Avec mille précautions, j'ai soulevé l'écureuil endormi pour le déposer sur la mousse...
D'elle ou de moi, qui a entendu le premier ? Nous n'avions pas fait dix pas. Ce qui, tout de suite, a frappé nos oreilles, ça été le doux grognement de tout à l'heure, ce bruit de gorge devenu familier, mais différent, beaucoup plus fort, précipité, impérieux. C'était vraiment une injonction : "Eh! bien, eh! bien! Attendez-moi, vous deux !"... Si incroyable que cela nous parût, il fallait bien en croire nos yeux : l'écureuil courait derrière nous, non pas en trottant sur la sente et la mousse, mais en bondissant... tout en continuant à grogner, à nous semoncer vertement : " Halte-là! Halte-là! J'arrive! "...
J'étais de plus en plus remué, touché plus que je ne saurais le dire de cette tenace fidélité. Qui sait ? Peut-être sottement fier, au fond de moi, d'avoir été ainsi choisi, élu : comme si j'eusse découvert en moi un singulier pouvoir tout neuf, un don magique...

L'écureuil se fatiguait, à la longue. Mais il poursuivait vaillamment, ne nous lâchant pas d'une semelle. Nous suivions la sente forestière qui sinuait à travers le hallier, marchions sur l'humus, sur la mousse, sur le gazon rêche des friches. Tout cela lui était familier. Il continuait de sauter, retrouvant sous ses pattes le souple feutrage des gramens, ou la bourre des vieilles fougères mortes, ou la douceur noire du terreau. Quel interminable voyage ! Nous approchions, touchions la haie taillée, le portillon de notre enclos, entrions dans la cour sablée...
Je l'ai repris alors dans mes mains et l'ai porté vers le logis. Sylvie et moi avons appelé la vieille servante qui partageait notre vie. Nos voix emplissaient la maison :

- Du lait ! Des noix ! Vite ! N'importe où ! Ici même, dans le vestibule !

Nous n'étions pas au bout de nos surprises. On aurait pu penser, tant il se rassura vite, qu'il avait vécu sous un toit, dans une sombre maison des hommes. C'est ce que je crus un moment, si absurde que cela fût : que j'étais tombé, en plein bois, sur une bête apprivoisée, un petit écureuil savant. Mais il était sauvage, sauvage : une bête domestiquée eût été beaucoup moins farouche.
C'est en écureuil libre que se conduisait celui-là, jusque dans son sans-gêne, son aisance, sa façon d'être chez lui...
Assis, bien installé, la queue en parasol, il grignotait à toute vitesse : la noix fondait en un clin d'œil. Mais que de projections, quel gaspillage, en apparence du moins ! Les miettes volaient de tous côtés, il ne voulait que la chair blanche, le reste était... postillonné, allègrement, vigoureusement. Il était très mal élevé. Il mangeait, pourquoi ne pas le dire ? Comme un charmant petit cochon. Et il buvait exactement de même...
Cependant, nous délibérions...
Que faire ? Sinon le rapporter là-bas, le rendre, et dès ce soir même, au bois de pins qui nous l'avait donné ?
Je l'y ai rapporté, en effet, seul, dans le soir brun, déjà nocturne...
Je n'avais plus besoin de le tenir. Il allait et venait sur mon corps comme il l'aurait fait sur un arbre, tantôt juché contre mon cou, tantôt glissant vers ma poitrine.
Soudain, dans une demi-culbute, il plongea l'une de ses pattes dans la poche intérieure de ma veste. Heureuse trouvaille ! L'instant d'après, il s'y était coulé tout entier, d'un mouvement vif, rampant, extraordinairement souple et sûr. Il fut tout de suite au fond de la poche, s'y agita quelques secondes encore. C'était clair : il bataillait contre des objets encombrants, mon stylographe, mes lunettes ; il préparait son nid, exactement comme au creux du manteau. Enfin vainqueur, il se lova, se mit en boule et, instantanément, s'endormit.
Lorsque nous atteignîmes les pins, je dus l'éveiller, non sans peine. Il me fallut fouiller ma poche, le repêcher au fond, tout amolli et chaud de sommeil. Il se secoua, aussi vite présent et alerte qu'il avait perdu conscience :

- Eh! bien, tu vois, nous sommes arrivés.

Il le savait aussi bien que moi. Sans plus rien dire, je m'appuyai à un tronc vigoureux, sans doute celui de l'arbre même au pied duquel nous avions joué. Je posai l'écureuil contre l'écorce rugueuse. Je ne le voyais presque plus. L'ayant lâché, il s'y agrippa. Et j'attendis, assuré désormais d'être aussi patient qu'il faudrait, autant qu'un animal des bois, autant que lui.
C'est là sans doute, dans la solitude et la transparence de la nuit, que l'aventure prit pour moi tout son sens. Je ne mesurais plus le temps. Je sentais seulement que l'écureuil trottait dans l'ombre, tantôt sur l'arbre, tantôt sur moi, nous confondant vraiment l'un l'autre, nous unissant ensemble à la pureté du bois, de la lande, à la lueur des premières étoiles, au silence.
Je me suis détaché du vieux pin, très doucement. Je me suis éloigné sans fuir, m'enfonçant insensiblement, enfin disparaissant dans l'ombre, avec le sentiment que pour lui rien n'était changé. Car pour moi, je l'ai su depuis, beaucoup de choses devaient l'être à partir de cette journée-là.

L'histoire est vraie. J'ai essayé de vous la dire telle qu'elle est réellement arrivée. C'est ainsi qu'elle est la plus belle...
Le lendemain, sans le dire à personne, je suis revenu sous les pins. J'avais empli mes poches de noix. Je me plaisais à imaginer que j'allais revoir l'écureuil, qu'il reviendrait à mon appel, ce jour-là et les jours suivants ; et qu'ainsi j'aurais dans les bois un petit ami sauvage, familier et fidèle, que je retrouverais à mon gré, avec lequel je partagerais des noix, mais aussi de très beaux secrets.
J'ai scruté avidement les branches. J'ai appelé longtemps, en imitant à fond de gorge (j'étais tout seul, je n'avais pas peur de paraître ridicule) le doux grognement que je n'avais pas oublié. Mais les branches n'ont pas frémi ; nul écho ne m'a répondu. Tout ce qu'il avait à me dire, l'écureuil me l'avait déjà dit.



Maurice GENEVOIX
Extrait des "Routes de l'Aventure"
Editions des Presses de la Cité