Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




Pour m'éviter d'écrire dans le désert laissez donc ici votre commentaire ...



mercredi 27 janvier 2010

LIMPIDITES

Marcher sur les plages fines,
Au bord de la mer
Où dansent les fraiches virgules de couleur.
Dans l'attente du miracle,
Certain comme le soleil.
Délivrés par le balancement des roseaux pâles
Dans l'air du matin.
Avant que le zénith atterrant
N'ait délité notre âme.


A mi-hauteur,
Près de la lisière noire des sapins,
La tranquillité fraiche se respire,
Ordonnant nerfs et fibres.
Rien ne presse.
Il faut s'attendre à l'émergence de la vie,
Hors des convoitises.
La chétivité trouve sa place
Dans la mansuétude de la nuit.


Jette le temps par dessus ton épaule
Et pars à la découverte.
Au dehors la campagne est orange
Et l'eau des rivières glisse entre les prés.
Connais l'instant d'après-midi
Où te fixe le clocher lointain.
Surprise d'être là vivant,
Tendu vers d'innocents secrets.


Vois-tu ce beau canal entre ces berges vertes ?
Il est doux de toutes les couleurs du ciel.
Il conduit à la maison de la jeune fille
Dont le cœur est une chanson.


Il fait bon suivre
Entre les collines
L'ancien chemin de halage
Semé de feuilles jaunes.
Que soient rares les péniches et vieilles.
J'attends la révélation de cette eau qu'on dit morte,
Merveille de vie sous le soleil.


Le canal disparaît entre les collines
Et l'oubli l'ensevelit dans la paix,
Où les couleurs retrouvent leur vie,
Où commence l'inventaire heureux
Qui conduit à la lumière.


Près du canal,
La persévérance du temps
Porte l'espoir d'un long jour de paix
Où les piaillements sans malice des oiseaux
Nourrissent le silence.


Fragile comme un miroir d'eau,
A l'écart des routes,
Vit le paradis sauvage,
Vraie mesure du temps.


Limpidité des eaux laissées par les crues,
Près des arbres.
Oasis blondes cachées par les roseaux et les saules
Où se livrent les secrets du monde
En des éblouissements doux.


Je m'émerveille, j'embellis,
Je vis tout à coup le bonheur
Et tout à coup, je ne crains plus
Aucune tyrannie.


L'oubli nous décalque sur l'harmonie cachée,
Filon découvert par hasard et qu'il ne faut pas quitter.
Aujourd'hui commence la bonne métamorphose.
Pourvu que mes amis m'abandonnent.


Dans le lit du fleuve,
Une émergence de vérité
Baigne ma blessure,
Pansement de lumière.


Dans ce cirque de montagnes sèches,
Faire âme neuve
Et vivre sous la dictée du temps,
Porté jour après jour vers la plénitude.


Dans l'air intact, rien ne fissure
La simplicité du regard
Qui se nourrit de pierres sèches
Et de chemins ténus,
Délectables aux pieds rajeunis.


Comme elle est familière à mes os
Cette ville orientale
Bâtie sur une haute colline,
Dont les rues descendantes
Sont les affluents du désert.


L'enfant de Bénarès quitte l'échoppe de son père.
Il monte la large rue de sable qui traverse la ville.
Derrière lui, s'éloigne la steppe aux arbres maigres
Et la route d'or s'épanouit dans la plaine.


Chaque matin, c'était le bleu garanti ;
L'allégresse inconnue des notables statufiés ;
L'invisible bouclier de l'innocence
Qui fait le sable chaud,
La vague éclaboussante
Et luisantes les racines des pins,
Relais haletants des dévalements vers la mer.


S'inclure dans le passage des heures.
Pas à pas. Sans précéder
La colorisation du village,
L'affolement des herbes grises
Couchées par la bourrasque,
Les "coucou" de la lumière,
Le déchirement des cris d'amour
Dévorés par le silence.


J'ai rendez-vous d'amour avec la vie courante
Que l'on voit s'affairer au village
Du haut de la colline,
Tant que les désirs faméliques
N'ont pas dévoré l'allégresse
Et la carapace inquiète des mensonges
Fermé la porte à la lumière.


Savoir ses forces intactes à l'assaut des couleurs :
Orange, turquoise, mille verts,
Et les paillettes d'argent sur les rochers.
Nul homme n'a l'enseignement d'une crique sauvage.
Quel orgueil d'avoir pour seul maître,
Qui sait tout,
La douceur vivante de l'univers.


En arrêt dans le miroir des flaques,
Les poissons de verre s'incorporent
A la plénitude du temps,
Tandis qu'au loin la rivière
Ferraille entre les galets
Puis explore en silence
Les gouffres bleus
Où les courants divaguent.


Au fond du ravin,
Sous le pont rustique,
On prend des truites à la main.
Mais quand le flot s'étale
Sur les cailloux mordorés,
On s'en veut d'avoir déserté la lumière
Et le bonheur licite
D'une après-midi sur la plage
En famille, au soleil.


Qu'importe les noms des coquillages
Et ceux de leurs couleurs... qui se mangent.
Qu'importe de savoir les mots qui s'interposent,
Cache-vie pour rentrée des classes.


A notre lever, la mer dormait encore.
Nous avons marché sur la plage froide,
Vers le port transparent dont la digue
Retient la curiosité des montagnes bleues.


L'enfant posa son esprit sur la mer
Et sentit le temps l'acheminer vers sa plénitude.
Il rendit grâce pour l'intégrité de son âme et de son corps
Et pour son intelligence des merveilles.


Délicieux exil
Aux portes du temps.
Le matin tranquille
A lui tout son temps.

Penser à demain
C'est perdre son temps,
Le temps d'un matin
Pour coeurs innocents.

Vois-tu la rivière ?
Elle est là pourtant,
A l'écart des routes
Où l'on fuit le temps.

samedi 16 janvier 2010

HENRI POURRAT l'âme de l'Auvergne




Henri Pourrat est, injustement, le plus méconnu des grands écrivains régionaux.
Chantre de l'Auvergne, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont les principaux sont Les Vaillances, Farces et Aventures de Gaspard des Montagnes, passionnante épopée rurale qui lui valut le grand prix du roman de l'Académie Française et le Trésor des Contes, fabuleux recueil de près de mille récits venus du fond des âges, illustrations savoureuses de l'imaginaire paysan.
Henri Vialatte, son ami de toujours, considérait Pourrat comme le Selma Lagerloff français et demandait qu'il fut inscrit au programme des écoles.
Comme pour Marcel Proust, c'est à la maladie que nous devons l'essentiel de l'œuvre de Pourrat.
Atteint par la tuberculose à l'âge de vingt ans, il dut renoncer à une carrière d'ingénieur agronome et se consacra tout entier à la littérature.

L'œuvre maîtresse d'Henri Pourrat, "Gaspard des Montagne", est un grand roman d'aventures dont le héros, jeune forestier rayonnant d'intelligence et de hardiesse, s'engage dans un combat aux multiples péripéties pour protéger sa cousine bien-aimée contre les persécutions d'une bande de scélérats dirigée par le propre mari de la jeune femme.
Plus profondément, l'histoire est une allégorie, prodigieusement vivante, de la lutte immémoriale entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres, qui donne au livre la portée universelle des grandes œuvres littéraires.
Captivant, drôle, merveilleusement écrit, "Gaspard des Montagnes" est empreint d'une poésie simple et forte, puisée dans une communion quasi mystique avec la nature et la fraternité profonde de l'auteur avec le "peuple des campagnes" dont il a su, mieux qu'aucun autre, traduire la ténacité et la sagesse rustique.

Le livre commence par un prologue d'une extraordinaire intensité poétique, qui plante le décor et donne le ton de cette

Histoire à cent histoires
Qui vient de loin sur le vent et qui court
De bourg en bourg, de labour en labour,
Faite d'un souffle et de notre mémoire.

Voici quelques extraits de cette "ouverture", pèlerinage intérieur au pays natal où l'auteur puise l'inspiration de son œuvre.

La vieille Marie contait et contait...
Quand le temps est bas, que les bois des rampes
Houlent à long bruit, sur le mont Raudet,
Tend le rideau rouge, allume la lampe,
Et serrez- vous tous devant les landiers.
Il va reneiger cette nuit sans faute :
Ces montagnes sont si sombres, si hautes,
Et les chaumes gris si seuls à mi-côte,
Comme dans le temps, temps des margandiers...
Mais ici le cœur bat étrangement,
Parti dans le vent derrière ces dires,
D'amitié, de peur, d'un autre tourment.
Et pour n'y céder, alors, il faut rire.

Il fait du vent. Et dans ce vent, je veux partir, aller encore
Là-bas, où je retrouverai le grand matin d'herbe et d'oiseaux.
Là-bas, où, luisant et tonnant, l'eau s'écroule au flanc de la roche,
Où l'espace vous vient dessus, d'un coup, dans le large de l'aube,
Où la liberté, l'amitié font lueur dans les yeux des hommes,
Là-bas, où boire sous les pins le vent d'endurance et de force,
Au pays, en Auvergne !

Vialatte disait de Pourrat qu'il était "le premier paysagiste des lettres contemporaines".
En témoigne cette randonnée dans la montagne, dont la description est si belle que son parcours est aujourd'hui recommandé par les guides touristiques de l'Auvergne.

Après le Pas-de-la-Mule et le bois de l'Hôtesse, ils débouchèrent dans les pâturages.
Sur plus de dix lieues, jusqu'à Noirétable, ce pays s'étend, sans une terre, sans une maison. Un aspect de silence. Rien que des croupes ni vertes ni rousses, brunes de bruyère par places, où le pas des vaches a tracé des chemins d'herbe rase ; rien que les lourdes ondes de ces bourrelets et de ces combes, avec leurs bastions d'énormes granits usés s'épaulant en cavernes ; et dans les fonds, tournées vers le midi, parfois un rang de pauvres cabanes.
On se sent si léger, si dispos de son corps, qu'on irait tant qu'ils seraient longs dans ces déserts, sur ces terrasses au dessus des pays ! De toute la poitrine on y prend la santé, la pureté de l'air. Et l'on ne peut s'empêcher d'y cueillir ces fleurs, les plus des étoiles : la gentiane dorée, l'aconit couleur de l'orage, l'euphorbe, l'orpin, l'arnica, le lys martagon aux clochettes roses…
On montait et l'on descendait par sept ou huit montagnes basses. Mais sur ces empans d'airelles et de gazon, ils auraient marché toute la nuit, comme s'ils allaient au-devant d'ils ne savaient encore quel royaume du matin.



......Ils soupèrent, assis en rond sur les pieds-de-chat, les pensées, d'autres fleurs dont ils ignoraient le nom, peut-être la fleur du baume ou bien la fleur qui chante. On se sentait le cœur donné aux brises.
Soudain la lune se leva, derrière une roche. Elle poussait et grossissait, toute d'une lueur nue, sortant de derrière l'épaule de la pierre, ainsi que quelqu'un qui serait venu les voir. On ne pouvait cesser de tenir les yeux sur elle. La solitude, la compagnie de cette lune, éclatante comme une grande patène d'or inexplicable, cette paix de lumière et le silence de la nuit, tout cela donnait le désir de pleurer doucement.
......La lune donnait en plein. Les quatre jeunes filles se tenant par la main chantaient. Et cela aurait fait attendre les anges de retourner en paradis.

......Le moment venu, Gaspard entraîna la caravane. Bientôt Pierre-sur-Haute leur apparut comme une masse de rochers détachés et de gazon, levée contre le ciel. Il y eut une côte malaisée, où chacune accepta la main de son ami.
C'était la roche nue, une sorte de banc où ils s'assirent, les jambes pendantes. Ils avaient au-dessous d'eux tant de pays que les jeunes filles n'en pouvaient revenir. Elles s'émerveillaient d'être là plus haut que le puy de Dôme, qui parait si haut dans la nue. Le Dragon nommait par leur nom les puys à la file, montrait les monts d'Or, le Cantal. Elles ne se lassaient pas de tant et tant d'espace : et de ce côté le Forez montueux, ses bourgs, ses châteaux, ses étangs ; les montagnes des Cévennes, celles du Dauphiné ; et dans ces reculées, comme une traînée de sel, les grandes Alpes.

-Regardez !
De leur dentelure montait une chose sombre que Benoni compara au fond d'un chaudron. Le soleil en sortit, en palet de fer rouge. On aurait dit d'une éclipse. Depuis un grand moment, jusque dans les hauteurs, l'air s'était teinté de rose ; mais d'un rose si pur, d'une pureté si vive, si matinale, si fraîche... Au sortir de cette nuit de voyage et de chant sur les montagnes, la tête montée, le cœur remué, savaient-ils bien encore où ils étaient ? Le ciel semblait un grand ange d'aurore aux ailes ouvertes sur un monde d'argent, de feux légers et de merveille.
Et eux, ils étaient là, seuls, parmi les blocs arrondis par les âges et les hautes fleurs étincelantes qui commençaient de pencher sous la rosée. Ils regardaient ce matin en allé vers le paradis, ces étendues, cette lumière. Le soleil en Dieu se levait, sur ce ruban de pics lointains au bord du monde.
Il s'éclaircissait, lançant des rais qui éblouissaient l'œil : on n'en supportait plus la vue. Alors les Alpes commencèrent de flotter en vapeurs, et le regard se perdit sur des fantômes de montagnes. Déjà touchées, les cimes d'un bleu brouillé luisaient d'un pâle incarnat. Des nuages naissaient dans les pendantes vallées, se déroulaient comme des fumées, dont se rejoignaient les têtes rondes. Entre leurs glissements, de larges campagnes apparaissaient, si fines dans l'éloignement qu'on distinguait le trait d'un chemin montant vers une chapelle ou une tour déchiquetée sur une butte.
Le silence allait encore à l'infini sur la montagne. C'était bien le pays où l'on ne meurt point, où de mémoire d'homme on n'a vu porter Dieu à ceux qui passent l'été dans les burons. Car il semblait que l'on bût là de la jeunesse et du bonheur.

Voilà qui donne envie de visiter l'Auvergne et, je l'espère, de lire ce livre exceptionnel, édité chez Albin Michel et fort bien illustré par François Angeli.

L.S.D.

N.B. Le Trésor des Contes est édité par Gallimard.