Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




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lundi 15 mars 2010

Tranche napolitaine

(Deuxième épisode)

Un an plus tard, Michel fut nommé, sur la recommandation du Maire de Naples, au poste d'attaché culturel au Consulat de France.
C'est le visage rayonnant d'optimisme qu'il se présenta à Madame le Consul*. Celle-ci, la cinquantaine agressive, un physique de rat déterminé, l'écouta d'un air maussade exposer avec enthousiasme son programme de restauration du prestige de la culture française mis à mal par l'inertie de son prédécesseur.
Excédée par un discours qui la visait aussi, la sous-ambassadrice finit par interrompre sèchement ce nouveau venu qui lui faisait la leçon.
_ « voici vos horaires : 8h.30-12h.30 14h-18h. Soyez chaque jour à 16 heures dans mon bureau, je vous dicterai le courrier ; l'Etat Français est si radin que nous n'avons pas de secrétaire. »
Atterré par cet accueil très éloigné de ses rêves d'homme de gauche adepte de l'implication des Pouvoirs Publics dans la vie culturelle, Michel se retira dans le minuscule bureau qui lui était alloué : un ancien débarras sans fenêtre où traînait encore un jeu de balais et de serpillières.
Son premier geste fut d'accrocher au mur un tableau dont un peintre renommé lui avait fait cadeau et qui représentait un éclair noir sur un ciel vert.

Le lendemain, à huit heures trente, Madame le Consul fit irruption dans le bureau de son subordonné. « Ah non, pas de ça ici ! » s'écria-t-elle à la vue du tableau. « Un éclair noir ! C'est confondre un phénomène atmosphérique avec une pâtisserie au chocolat ! Un ciel vert ! Ma parole, ce daltonien prend le firmament pour une prairie ! Vous allez me faire le plaisir de repeindre cette croûte aux couleurs de la nature. »

*Le consul qui avait sauvé Caroline et Michel de la grillade avait été destitué pour offense envers la Mafia.


Horrifié par ce caporalisme obtus, Michel comprit que rien ne serait possible sous la férule de cette virago et, son tableau sous le bras, s'enfuit du consulat en hurlant sa démission.


Michel connaissait un docteur en sciences humaines qui avait été détaché par la Faculté d'Angers pour apprendre aux napolitains les conséquences des crues de la Loire sur le comportement des habitants de l'île de Béhuard.
Cette petite commune est périodiquement submergée jusqu'au clocher de l'église, ce qui oblige les cent-vingt-trois Béhuardais à porter en permanence une bouée autour de la taille avec les conséquences que l'on imagine sur la mode locale, l'ambiance des bals populaires et la chute de la natalité.
De mauvais esprits pourraient penser que le sujet était bien mince pour meubler trois années d'études. Ce serait ignorer que le professeur angevin avait astucieusement relié ce drame insulaire à deux évènements majeurs de notre époque : le réchauffement de la planète et la prolifération des obèses.
Il soutenait que les inondations géantes provoquées par la fonte des glaces allaient transformer l'humanité en une espèce amphibie. Selon lui, L'Evolution, prenant exemple sur la prévoyance béhuardaise, était en train de greffer sur les humains une bouée biologique destinée à les sauver d'un nouveau déluge. Telle était la cause de l’obésité galopante qui, après avoir engraissé les Etats-Unis, tendait à gonfler l’humanité toute entière.
Encore fallait-il se prêter à cette transformation. Malheureusement, par crainte de perdre la publicité des produits amaigrissants, les médias n'avaient fait aucun écho à cette découverte qui réhabilitait l'embonpoint.
Inconscientes du danger et victimes de l'idolâtrie de la planche à pain, les femmes s'obstinaient à suivre des régimes suicidaires, préparant ainsi l'avènement d'une société presque entièrement masculine. Faute d'être avertis de la victoire programmée du look Botero sur la ligne Giacometti, les grands couturiers, recruteurs de mannequins anorexiques, ourdissaient à leur insu le naufrage spectaculaire des défilés de mode.

Michel se réfugia chez ce penseur audacieux dont il admirait le génie visionnaire. Mais il s'aperçut bientôt avec stupeur que ce brillant universitaire était un bourreau d'enfant.
Son fils, âgé de quatorze ans, un miracle d'intelligence et de gentillesse, aurait bien voulu posséder un téléphone portable. Il offrait même d'en payer l'abonnement avec le très maigre argent de poche que lui concédaient ses parents.
Le père indigne opposait aux demandes multi quotidiennes de son fils des arguments soi-disant éducatifs dont la mauvaise foi révoltait.
Michel assista, au cours du dîner, à l'une de ces joutes verbales révélatrices de la tyrannie paternelle.
- Le langage abrégé des textos sabote l'apprentissage de la grammaire et de l'orthographe. Je ne veux pas qu'un fils illettré me fasse rater les palmes académiques.
- Mais non papa, mon professeur de français dit que la traduction d'une langue, même dans un idiome élémentaire, en améliore la connaissance. Tu nous as toi même vanté cent fois les vertus pédagogiques du thème dont tu décrochas, paraît-il, le premier prix au Concours Général. Et puis, ne sois pas inquiet pour ton magot, la contraction des SMS permet de correspondre au moindre coût. Au lieu de "je t'aime papa", je t'écrirai "T'M PA." Quatre lettres au lieu de onze ; plus de soixante pour cent d'économie.
L'insolence du propos qui, par bonheur, avait échappé au père abusif, fit sourire Michel qui prit la défense de l'adolescent.
Ce jeune homme a raison dit-il à l'odieux parâtre. Seriez vous l'un de ces vieux réacs qui, depuis l'origine de l'humanité, freinent la marche du progrès ; un clone de ces primates qui se cramponnèrent aux arbres pour échapper à l'hominisation ; un séide de ces seigneurs arrogants qui, sourds aux gémissements de leurs domestiques, imposèrent jusqu'à la Révolution Française l'usage de la chaise à porteurs ; une réplique de ces lourdauds qui niaient la possibilité de voyager dans les airs malgré l’exemple des oiseaux migrateurs.
Michel était de mauvaise foi car il se sentait solidaire de ces Don Quichotte qui luttaient en vain contre la marche du temps. Mais il fallait bien confondre ce père dénaturé.

Le lendemain de cette scène douloureuse, Michel prit congé de son ex ami et se rendit chez le Maire de Naples. Celui-ci mariait sa fille cadette avec le fils du Président du Sénat et donnait une fête somptueuse à laquelle Michel fut chaleureusement convié.
L'assemblée était prestigieuse. En ses qualités de premier magistrat et de chef de la Maffia, le maître de maison avait réuni la fine fleur de la pègre et de la haute société. Dans les jardins illuminés se côtoyaient en bonne intelligence des caïds de la drogue et des généraux chamarrés, des vedettes tout sourire et des maquerelles embourgeoisées, des banquiers partouzards et des cardinaux somptueux en robes écarlates...
Michel était très à l'aise parmi ces gens fortunés nullement effarouchés par son allure d'homme des bois, les artistes étant, à leurs yeux, dispensés de tout protocole. Bien qu'il s'en défendît, il adorait les conversations mondaines qu'il trouvait, à juste titre, plus attrayantes que le discours prétentieux de certains intellectuels autoproclamés. Son érudition lui permettait d'aborder avec bonheur presque tous les sujets et de débattre aussi bien avec des ministres que des guérilleros, des princes de l'église que des bouffeurs de curés, des académiciens que des crétins des Alpes... Bien qu'il se voulût misanthrope, il était d'une nature conviviale et chacun recherchait sa compagnie.
Il est navrant de penser que Michel n'ait pu trouver un peu de chaleur humaine qu'auprès d'une organisation criminelle, mais c'est ainsi. Les maffiosi ont peut-être des défauts mais il faut reconnaître que la cordialité de leur accueil pourrait servir d'exemple à certains (ou certaine) de nos fonctionnaires à l'étranger.
Toujours est-il que Michel passa dans les ors napolitains une soirée délicieuse, à peine assombrie par l'explosion du gâteau de mariage. Pour finir, le maire l'invita à demeurer dans sa somptueuse villa du bord de mer et, connaissant son goût pour le jardinage, promit de lui trouver un emploi dans la culture du pavot.

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