Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




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jeudi 1 avril 2010

A la Gloire de ma mère

Le texte qui suit est un article que j’avais publié dans la revue de la Banque de France.
Il est écrit par ma mère, donc votre grand-mère et arrière grand-mère.
C’est une évocation des livres -La Gloire de mon Père et La Château de ma Mère- où Marcel Pagnol raconte ses souvenirs de vacances enfantines dans les collines provençales encore sauvages et presque inhabitées.
J’ai rarement lu une analyse littéraire aussi juste, intelligente, émouvante. Elle témoigne de la finesse d’esprit, la sensibilité et la qualité d’écriture de celle qui fut l’une des femmes les plus cultivées et talentueuses de son époque. C’est pourquoi je l’inscrit pour vous sur mon blog, à « la Gloire de ma mère ».



LA PROVENCE DE PAGNOL





Il n’y a pas chez nous de province plus chantée, plus aimée, plus enviée, plus connue, semble-t-il, que la Provence.
Provence de Mistral, de Roumanille, de Daudet, Provence des « félibres » découverte avec délices par des lecteurs d’une époque déjà révolue. Provence de Giono, rude et âpre, magnifiée par un génie poétique vigoureux et libre, qui projette dans les nues la réalité et prend au corps le quotidien pour le précipiter jusqu’aux enfers ou le hausser jusqu’aux étoiles. Provence de Colette, rassemblée autour de l’auteur à la taille d’une « placette » et d’un jardin odorant où poussent l’ail, l’aubergine et la « treille muscate ». Provence des artistes, avec ses coteries, ses chapelles, ses écoles. Provence des « vacanciers », hurlante de klaxons et empestée d’essence quand l’autoroute coule à pleins bords vers les « Grandes Bleues », les « Oustaous », les « Mon Bastidons », et autres bicoques ou casinos.
Mais tout cela réuni laisse intacte la Provence de Pagnol.
Où est-elle ?
Nous ne l’avons pas trouvée dans ses pièces, la porte du bistrot de César ouvre moins sur elle que sur le chemin liquide des Iles-sous-le-Vent et les mirages de l’Asie ; ce sont ses souvenirs d’enfance qui nous y font pénétrer, nous y guident et nous y retiennent.
Nous voici à deux pas de Marseille, dans un univers inconnu, à la fois illimité et clos comme le sont les mondes enfantins. Là, un petit garçon de douze ans se sauve tout un jour dans la colline ; tout un jour, et bien des jours, il peut aller de touffe en touffe, de garrigue en garrigue, de découverte en découverte. Innocent et cruel, il tend des pièges, tue un serpent monstrueux, médite de se faire « hermitte », profane la caverne terrifiante où niche « libou ». Là, Lili, le petit camarade paysan qui ignore la frange maquillée de sa province et n’a peut-être jamais vu la mer, fait la cueillette des olives, fauche les herbes rêches, et rappelle au petit citadin en vacances qu’on ne peut pas toujours s’amuser : « Ce matin on peut pas aller aux pièges, je suis été avec mon père au chant de Pastan. Viens, on mange sous les pruniers, Viens. »
Ce monde démesuré de l’enfance, il est aussi pour les « grands » à la taille de leur désir d’évasion, de leur goût de liberté, de dépaysement. La tante Rose y gémit quelque peu, si loin du confort de la ville, et regrette le Gaz (majuscule !). Mais l’instituteur en vacances respire un air d’aventure et chasse les bartavelles, ces « Perdrix du roi » qui feront sa « gloire ». Mais la ravissante et fragile Augustine y tremble en entendant « les cris du garde et le soufflement rauque du chien », dans cette propriété redoutablement « privée » qui sera un jour, plus tard -trop tard- le « château de ma mère ».
Cette Provence à la fois féérique et naturelle, débarrassée de ses palmiers, de ses golfs-miniature, de ses relents d’ambre solaire, redonnée aux bêtes familières ou sauvages, à la tranquille famille de l’instituteur, cette Provence redevenue authentique et terrienne, inconsciente de sa beauté et qui ne sait pas qu’elle a son nom dans toutes les langues et tous les argots du monde, c’est la Provence de Pagnol.
Mais Pagnol n’a plus douze ans. Qu’est devenu son univers enfantin ? Peut-on se perdre encore tout un jour dans ses collines ?... Jusqu’où Marseille a-t-elle poussé sa conquête dans la direction de la Bastide Neuve ?... Le voyage durait quatre heures pour le petit Marcel et sa famille, et sa mère espérait bien qu’un jour, le tramway…
« Quand nous aurons le tramway, les enfants porteront les moustaches », répondait le père, pessimiste. Marcel Pagnol n’a peut-être jamais porté la moustache, mais, hélas, il ne faut sans doute plus quatre heures, dont deux à pied, pour arriver aux Bellons, si loin au-delà des Accates, au-delà des Camoins, au-delà de la Treille.
Le monde du petit Marcel a basculé de « l’autre côté du temps ». Lili, depuis longtemps, n’est plus. En 1917, il est tombé « dans une noire forêt du Nord… sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms ». Paul, le petit frère, a grandi, est devenu un homme, et puis est mort. Et dans le domaine de Pagnol, qui fut ce château hostile où Augustine eut si peur, seul un tendre fantôme demeure que son fils a rencontré et reconnu : « Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle ne savait pas qu’elle était chez son fils ».
Oui, peut-être, la Provence de Pagnol est-elle aujourd’hui toute entière dans ces pages des Souvenirs d’Enfance, mais elle y est sauve et impérissable. Ne triomphe de l’oubli que ce qui le mérite et tout ici vaut de durer.
…Et puis -qui sait ?- la réalité est quelquefois moins impitoyable que ne l’imaginent nos appréhensions, et la nature rétive a des ruses contre l’envahissement des hommes… Peut-être demeure-t-il quelque part assez de l’éden sauvage du petit Marcel pour que quelque voyageur y retrouve « de ce côté du temps », les bartavelles prestigieuses, les libres plantes et leurs arômes, le vent qui parle de pluie et de beau temps, les buissons intacts, les rochers à peine écornés, les précipices toujours creux, et, sous une touffe hérissée d’épines, quelque piège rouillé.

Anne Valray

2 commentaires:

  1. Salut Grand père,très bon idée de publier ce texte. Je n'ai pas eu encore le temps de le lire, car nous sommes à Crest, mais maintenant que je commence à connaître le monde de Pagnol, ça va me faire plaisir de découvrir "La Gloire de ta mère".
    A très bientôt !
    bises

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  2. Oui, c'est très beau, je me souvenais de ce texte mais suis heureuse de le relire. caroline

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