Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




Pour m'éviter d'écrire dans le désert laissez donc ici votre commentaire ...



mardi 27 avril 2010

Marie Détective

Voici une nouvelle aventure, inédite, de la petite Marie qui n’a rien perdu de sa malice :

Marie est en vacances au bord de la Méditerranée, dans une jolie villa louée par sa tante Caroline.
Ce jour là, elle se lève de très bonne heure pour attraper des crabes sur les rochers avant que la présence des estivants ne les ait fait fuir.
En longeant le port, Marie est intriguée par une jonque qui lève l’ancre précipitamment. Sur le pont, un nabot hideux, au faciès de chien pékinois, hisse la voile en haletant comme s’il venait de courir un marathon. Ses habits sont sales et déchirés mais, bizarrement, il est chaussé d’élégants souliers vernis.
Ce monstre a l’air bien pressé de s’en aller pense la fillette tandis que la jonque s’éloigne du quai.

Marie n’a pas de chance ce matin. Pas un seul crabe sur les rochers, même dans la petite calanque où, d’habitude, ils se rassemblent par centaines.
Au fond de cette crique sauvage, Marie fait une triste découverte. Sur les galets, git le corps inanimé d’un très jeune homme, couché face contre terre. Il est vêtu d’un smoking blanc et chaussé de vieilles savates éculées. Il porte sur la nuque la marque d’un coup très violent. Heureusement, il respire et n’est qu’évanoui.
Au sommet de la dune qui surplombe la petite plage, un brigadier de gendarmerie gesticule en ordonnant à la fillette de ne toucher à rien. Puis il descend la pente abrupte d’un pas chaotique.
Tout est clair, déclare-t-il avec assurance. Cet imbécile s’est assommé en s’étalant sur les galets. Je vois la scène comme si j’y étais. Il faisait nuit. Il était probablement saoul. Il a voulu descendre sur la plage par la dune. La pente est si raide qu’il n’a pas pu freiner sa course. Déséquilibré par la vitesse, il s’est affalé sur le sol en arrivant sur la grève. Les marques de ses pas dans le sable confirment mes conclusions. C’est un accident. L’enquête est terminée.
C’est d’une aveuglante clarté observe Marie d’un air ironique. Vous ne trouvez pas que c’est étrange ces vieilles godasses avec un smoking, ce n’est guère élégant pour un garçon d’apparence si distinguée. Et comment a-t-il pu se blesser à la nuque en tombant face contre terre ? Serions-nous sur une plage de galets sauteurs ?
De quoi te mêles-tu microbe, réplique le brigadier, vexé par le ton moqueur de Marie. Arrête de faire l’intéressante et de tout compliquer. C’est un accident. L’enquête est close. Rompez.
Cependant, l’adolescent commence à se réveiller de son évanouissement. Mais sous le choc, il semble avoir perdu la mémoire. Il répète avec un sourire ravi : Quelle chance, quelle chance…
Ce fada est tout heureux d’avoir perdu la boule s’exclame le brigadier.
Mais non, reprend le jeune homme, comme dans un rêve, je n’ai pas perdu, j’ai gagné beaucoup, pas à la boule*, à la roulette*. Vive le cinq juillet, jour de l’anniversaire de mes dix-huit ans.
Il divague complètement le malheureux, poursuit le brigadier. Il s’est peut-être évadé d’un asile de fous ce qui expliquerait son accoutrement bizarre.
Pas du tout réplique Marie, qui trouve beaucoup de charme au jeune amnésique, le choc ne lui pas enlevé tous ses souvenirs. Ce qu’il dit explique tout et confirme avec évidence les autres indices.
Quelle évidence ?! Quels indices ?! hurle le brigadier, furieux d’être contredit par une si petite fille.
Qui suis-je ? Où suis-je ? Que vois-je ? Qu’ouïs-je ? murmure l’adolescent d’un air égaré.
Vos papiers, vocifère le brigadier.
Mais le pauvre garçon n’a sur lui qu’une lettre de sa mère ainsi rédigée :

*La boule et la roulette sont des jeux de hasard que l’on pratique dans les casinos. Il est interdit d’y jouer avant dix-huit ans

Bon anniversaire mon chéri.
Pour fêter tes dix-huit ans, je t’envoie une carte d’invitation pour le bal du casino et quatre billets de cinq cents euros pour ta soirée.
Mets ton smoking blanc et tes souliers vernis, tu seras le plus beau, le plus admiré et je serai fière de toi. Un conseil, si tu veux gagner gros joue directement sur un numéro. S’il sort tu encaisseras trente cinq fois ta mise.
Ta mère qui t’aime.

Marie, toute attendrie, regrette de ne pas être en âge d’aller au bal pour pouvoir danser avec ce charmant garçon.
Mais le brigadier la regarde d’un air soupçonneux. Il n’a plus ses deux mille euros sur lui, crie-t-il. C’est toi qui les a volés, petite garce. Rends l’argent et disparais. Je ne veux plus te voir ni surtout t’entendre car tu me brouilles la cervelle avec tes remarques saugrenues.
La stupidité a des limites rétorque la fillette avec impatience. Si votre enquête est terminée, la mienne aussi . Voila ce qui s’est passé.
Cette nuit, en sortant du casino qui domine la calanque, ce joli garçon s’est fait attaquer par un nabot qui lui a volé soixante dix mille euros après l’avoir assommé d’un coup de gourdin. Croyant avoir tué sa victime, le monstre a paniqué. Il l’a descendue sur son dos jusqu’à la plage où nous sommes actuellement. Puis il a camouflé son crime en accident. Il voulait ainsi faire croire à la chute d’un garçon romantique venu seul rêver d’amour face à la mer par une belle nuit d’été. La ruse a bien failli réussir car vous avez foncé dans le panneau tête baissée.
Après cette mise en scène, le forban a regagné le port par le bord de mer. C’est lui que j’ai vu s’enfuir au petit matin sur une jonque.
Son erreur fut d’avoir échangé ses vieux godillots contre les souliers vernis de sa victime, idiotie qui m’a mis la puce à l’oreille.
Voila plus de deux heures qu’il vogue à toutes voiles vers l’Afrique avec l’argent de ce pauvre garçon. Vous avez perdu assez de temps. Prévenez la police maritime pour qu’elle donne la chasse à ce brigand.
Ebranlé par tant d’assurance, le brigadier commence à douter de son flair. Comme il ne veut pas perdre la face, il demande à Marie d’un air détaché : gamine, ton imagination m’amuse. Je serais curieux de savoir à partir de quels semblants de preuves tu as inventé cette invraisemblable histoire.
Pour vous punir de m’avoir accusée de vol, je devrais vous laisser patauger encore un peu, déclare Marie d’un ton moqueur. Mais comme le temps presse je vais éclairer votre lanterne.
Voila, c’est extrêmement simple.
Celui qui a dévalé la dune cette nuit était lourdement chargé. Il suffit d’examiner ses empreintes pour voir qu’il s’est enfoncé dans le sable jusqu’aux genoux. Il est de très petite taille car la profondeur de ses traces ne dépasse pas trente centimètres. Il a donc des jambes très courtes.

Le brigadier
Pour s’amuser, le jeune homme est peut-être descendu en roulant sur lui-même comme un tonneau. Ca expliquerait sa blessure à la nuque et que tu l’ais trouvé couvert de sable. Le nain a pu descendre sur la plage bien avant. C’est peut-être un contrebandier qui était chargé d’un lourd butin.

Marie
Se rouler par terre en smoking ! Vous avez déjà vu ça vous ?
Non, vous n’y êtes pas du tout. ON l’a aspergé de sable pour faire croire à une chute suivie d’un déboulé jusqu’à la plage.
D’ailleurs, le nain n’est reparti qu’à la fin de la nuit. Si je n’ai pas trouvé de crabes au petit matin, c’est qu’il les avait effrayés juste avant mon passage, en courant sur les rochers.



Le brigadier
Ce n’est pas invraisemblable. Mais comment peux-tu affirmer qu’on a volé soixante dix mille euros alors que sa mère ne lui en avait envoyé que deux mille ?

Marie
Justement. Nous savons qu’il a joué à la roulette et qu’il a gagné gros. Ca l’a fortement marqué. C’est même la seule chose dont il se soit souvenu en reprenant ses esprits. C’était donc un forte somme.
Le reste est facile à deviner. Il a joué ses deux mille euros sur le cinq, jour de son anniversaire, ou sur le dix huit, âge de sa majorité et remporté trente cinq fois sa mise, ce qui fait soixante dix mille euros. Il suffira de se le faire confirmer par le directeur du casino.
Etes- vous convaincu maintenant ?

Le brigadier (embarrassé)
Disons que tu n’as peut-être pas tort. Disons que tu as peut-être raison. Disons que je n’ai peut-être pas raison. Disons…

Marie (interrompant le brigadier)
Ce que vous voulez dire, dites le nettement, nous gagnerons du temps.

Le brigadier
D’accord, c’est toi qui es dans le vrai. Il ne me reste plus qu’à faire arrêter ce malandrin.


Marie
Vous devez aussi présenter vos excuses à ce jeune homme que vous avez traité de godelureau alors qu’il est tout charme et délicatesse.

Le brigadier
Oui, je regrette de l’avoir brusqué. Je regrette encore plus de m’être trompé en croyant à un accident. Quand mes chefs sauront que c’est toi qui a tiré l’affaire au clair, c’en sera fini de mon avancement jusqu’à la fin de ma carrière.

Marie
Ils ne le sauront pas. Je dirai que c’est vous qui avez tout deviné. Au fond, vous êtes un brave homme et je veux vous aider. Ne vous faites pas de soucis, nous fêterons bientôt vos galons d’adjudant.

Le brigadier
Merci ma petite Marie. Tu es la fille la plus gentille et la plus intelligente que je connaisse. Je te promets de ne plus mettre de contraventions à ta tante Caroline même quand elle embouteillera toute la ville en prenant des sens interdits comme elle le fait si souvent.

Rasséréné, le brigadier regagne la gendarmerie en compagnie de Marie et du jeune homme qui, tout à fait ravigoté, confirme en tous points le scénario décrit par la fillette.

Quelques heures plus tard, une vedette de la police maritime entre dans le port avec, à son bord, menottes aux poignets, le nabot déconfit…et les soixante dix mille euros.

Finalement, l’aventure se termine dans le meilleur restaurant de la ville où le jeune homme invite Marie, le brigadier et, bien sûr, la tante Caroline, pour un grand festin d’amitié.

jeudi 22 avril 2010

Après ma mère, ma soeur

Quand elle avait une quinzaine d’années, Suzanne tenait un journal intitulé « LA GAZETTE : Journal sélect pour les gens de goût et d’esprit de la Côte d’Azur et des environs ».
J’en extrais une critique cinématographique particulièrement rigolote.

« SAMSON ET DALILA »

Un film comme celui-là, ça fait époque. C’est un point de repère dans les souvenirs : « l’année du plus mauvais film qu’on ait jamais vu ».
Hédie Lamarr est inoubliable dans le rôle de Dalila. Elle est étonnante de ridicule et joue de la prunelle à faire rougir nos apprenties vamps.
Hédie Lamarr c’est un cas. Elle est devenue d’une laideur biblique : taille en cellulite, estomac proéminent, pattes d’oies géantes, mains genre sorcière de Blanche-Neige et calvitie prononcée qui fait penser qu’elle coupe les tifs de Samson par jalousie mesquine.
On ne s’ennuie pas une minute tant on rit.
Le plus drôle, c’est la noce de Samson, troublée par la perfide Dalida qui prend des airs maléfiques que personne ne remarque car elle est cachée derrière un pilier. L’hymen se termine par une grande tabasserie. Samson traite Dalida de putain, ce qui la fait pâmer. Ca lui donne des idées et elle devient la favorite du roi des philistins. Samson a vraiment une mauvaise influence sur les jeunes filles.
Dans le combat avec le lion, on est avec cette pauvre bête qui vient gambader et qui se fait traîtreusement zigouiller.
Il faut avoir vu « Samson et Dalila ».
Cécil B de Mille s’est bien fichu de nous.
Renée Fabrice, alias Suzanne Sagot-Duvauroux




jeudi 1 avril 2010

A la Gloire de ma mère

Le texte qui suit est un article que j’avais publié dans la revue de la Banque de France.
Il est écrit par ma mère, donc votre grand-mère et arrière grand-mère.
C’est une évocation des livres -La Gloire de mon Père et La Château de ma Mère- où Marcel Pagnol raconte ses souvenirs de vacances enfantines dans les collines provençales encore sauvages et presque inhabitées.
J’ai rarement lu une analyse littéraire aussi juste, intelligente, émouvante. Elle témoigne de la finesse d’esprit, la sensibilité et la qualité d’écriture de celle qui fut l’une des femmes les plus cultivées et talentueuses de son époque. C’est pourquoi je l’inscrit pour vous sur mon blog, à « la Gloire de ma mère ».



LA PROVENCE DE PAGNOL





Il n’y a pas chez nous de province plus chantée, plus aimée, plus enviée, plus connue, semble-t-il, que la Provence.
Provence de Mistral, de Roumanille, de Daudet, Provence des « félibres » découverte avec délices par des lecteurs d’une époque déjà révolue. Provence de Giono, rude et âpre, magnifiée par un génie poétique vigoureux et libre, qui projette dans les nues la réalité et prend au corps le quotidien pour le précipiter jusqu’aux enfers ou le hausser jusqu’aux étoiles. Provence de Colette, rassemblée autour de l’auteur à la taille d’une « placette » et d’un jardin odorant où poussent l’ail, l’aubergine et la « treille muscate ». Provence des artistes, avec ses coteries, ses chapelles, ses écoles. Provence des « vacanciers », hurlante de klaxons et empestée d’essence quand l’autoroute coule à pleins bords vers les « Grandes Bleues », les « Oustaous », les « Mon Bastidons », et autres bicoques ou casinos.
Mais tout cela réuni laisse intacte la Provence de Pagnol.
Où est-elle ?
Nous ne l’avons pas trouvée dans ses pièces, la porte du bistrot de César ouvre moins sur elle que sur le chemin liquide des Iles-sous-le-Vent et les mirages de l’Asie ; ce sont ses souvenirs d’enfance qui nous y font pénétrer, nous y guident et nous y retiennent.
Nous voici à deux pas de Marseille, dans un univers inconnu, à la fois illimité et clos comme le sont les mondes enfantins. Là, un petit garçon de douze ans se sauve tout un jour dans la colline ; tout un jour, et bien des jours, il peut aller de touffe en touffe, de garrigue en garrigue, de découverte en découverte. Innocent et cruel, il tend des pièges, tue un serpent monstrueux, médite de se faire « hermitte », profane la caverne terrifiante où niche « libou ». Là, Lili, le petit camarade paysan qui ignore la frange maquillée de sa province et n’a peut-être jamais vu la mer, fait la cueillette des olives, fauche les herbes rêches, et rappelle au petit citadin en vacances qu’on ne peut pas toujours s’amuser : « Ce matin on peut pas aller aux pièges, je suis été avec mon père au chant de Pastan. Viens, on mange sous les pruniers, Viens. »
Ce monde démesuré de l’enfance, il est aussi pour les « grands » à la taille de leur désir d’évasion, de leur goût de liberté, de dépaysement. La tante Rose y gémit quelque peu, si loin du confort de la ville, et regrette le Gaz (majuscule !). Mais l’instituteur en vacances respire un air d’aventure et chasse les bartavelles, ces « Perdrix du roi » qui feront sa « gloire ». Mais la ravissante et fragile Augustine y tremble en entendant « les cris du garde et le soufflement rauque du chien », dans cette propriété redoutablement « privée » qui sera un jour, plus tard -trop tard- le « château de ma mère ».
Cette Provence à la fois féérique et naturelle, débarrassée de ses palmiers, de ses golfs-miniature, de ses relents d’ambre solaire, redonnée aux bêtes familières ou sauvages, à la tranquille famille de l’instituteur, cette Provence redevenue authentique et terrienne, inconsciente de sa beauté et qui ne sait pas qu’elle a son nom dans toutes les langues et tous les argots du monde, c’est la Provence de Pagnol.
Mais Pagnol n’a plus douze ans. Qu’est devenu son univers enfantin ? Peut-on se perdre encore tout un jour dans ses collines ?... Jusqu’où Marseille a-t-elle poussé sa conquête dans la direction de la Bastide Neuve ?... Le voyage durait quatre heures pour le petit Marcel et sa famille, et sa mère espérait bien qu’un jour, le tramway…
« Quand nous aurons le tramway, les enfants porteront les moustaches », répondait le père, pessimiste. Marcel Pagnol n’a peut-être jamais porté la moustache, mais, hélas, il ne faut sans doute plus quatre heures, dont deux à pied, pour arriver aux Bellons, si loin au-delà des Accates, au-delà des Camoins, au-delà de la Treille.
Le monde du petit Marcel a basculé de « l’autre côté du temps ». Lili, depuis longtemps, n’est plus. En 1917, il est tombé « dans une noire forêt du Nord… sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms ». Paul, le petit frère, a grandi, est devenu un homme, et puis est mort. Et dans le domaine de Pagnol, qui fut ce château hostile où Augustine eut si peur, seul un tendre fantôme demeure que son fils a rencontré et reconnu : « Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle ne savait pas qu’elle était chez son fils ».
Oui, peut-être, la Provence de Pagnol est-elle aujourd’hui toute entière dans ces pages des Souvenirs d’Enfance, mais elle y est sauve et impérissable. Ne triomphe de l’oubli que ce qui le mérite et tout ici vaut de durer.
…Et puis -qui sait ?- la réalité est quelquefois moins impitoyable que ne l’imaginent nos appréhensions, et la nature rétive a des ruses contre l’envahissement des hommes… Peut-être demeure-t-il quelque part assez de l’éden sauvage du petit Marcel pour que quelque voyageur y retrouve « de ce côté du temps », les bartavelles prestigieuses, les libres plantes et leurs arômes, le vent qui parle de pluie et de beau temps, les buissons intacts, les rochers à peine écornés, les précipices toujours creux, et, sous une touffe hérissée d’épines, quelque piège rouillé.

Anne Valray