Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




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samedi 7 mai 2011

Chanson Poissonnière

L'ablette d'argent,
Sardine d'eau douce,
Vient gober les mouches
A fleur de courant.

En robe argentée,
L'anguille fugace
Retourne aux Sargasses
Pour s'y marier.

Barbeau proxénète,
Barbeau gigolo...
Ah non je proteste
J'suis pas un maqu'reau.

Le brochet perfide
Attend, impassible,
Qu'un gardon pataud
Frôle son museau.

La carpe mémère,
Visite l'étang,
En propriétaire
Qui a tout son temps.

Le gardon prolo,
Méprisé des sots,
Réjouit le cœur
De l'humble pêcheur.

Le goujon fouilleur
Cherche dans le sable
Des grains de bonheur
Pour sa toute aimable.

L'ombre qui milite
Pour de fraîches eaux,
Mange biologique
Et vote écolo.

La perche rayée,
Tigre des rivières,
Fonce, meurtrière,
Sur les poissonnets.

Dans la mare opaque,
La perche-soleil,
Et c'est bien dommage,
Cache ses merveilles.

Quand les poissons-chattes
Miaulent sous la lune,
Pour les poissons-chats
C'est bonne fortune.

Le saumon sauvage,
Sauteur de barrages,
Fait bien des jaloux
Chez les kangourous.

Le silure hilare,
Monstre des abîmes,
Ne se laisse voir
Qu'aux soirs d'Halloween.

Tapie dans l'herbier,
La tanche dorée,
Se paye la bouille
Du pêcheur bredouille.

La truite-arc-en-ciel,
Poisson top-modèle,
Se fait admirer
En robe étoilée

Petits effrontés,
Les vairons farceurs
Suçotent les pieds
Des bébés rieurs.

Louis Sagot-Duvauroux

mardi 1 mars 2011

Présent

Passée la barrière
Finis les tourments.
Chaque pas s'insère
Dans le cours du temps.

Ici plus d'affaires
On a tout son temps.
Le pré, la rivière
Vivent au présent.

L'esprit s'y libère.
Les coeurs innocents
Piègent la lumière
Promise aux enfants.

Quel est le mystère
De ce rendez-vous
Qui nous régénère
Et qui nous absout ?

mardi 15 février 2011

péguy Racine Corneille

Grand poète aux accents médiévaux, Charles Péguy fut aussi le fondateur, et le principal rédacteur, d’une revue philosophique, politique et littéraire, « Les Cahiers de la Quinzaine », à travers laquelle l’auteur du « Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc » s’engagea passionnément dans un combat sans concession pour la justice.
Par amour de la vérité, il défendit, avec une égale vigueur, l’innocence du capitaine Dreyfus contre la rage des antisémites et la liberté intellectuelle contre la mainmise d’une coterie partisane sur la Sorbonne et l’Enseignement Supérieur.
Cette attitude sans compromission lui valut de rester pauvre toute sa vie et d’être privé des honneurs que lui auraient mérités son génie et son intrépidité morale, situation qu’il accepta d’ailleurs comme un témoignage d’authenticité. :

Voici la pureté, tout le reste est souillure.
Voici la pauvreté, le reste est ornement.

Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure et nourri de culture grecque et latine, Charles Péguy a publié des analyses littéraires originales et pénétrantes qui mériteraient de figurer dans les manuels scolaires.
En témoigne cette comparaison entre les deux grands tragédiens français du dix-septième siècle.

« Corneille ne travaille jamais que dans le domaine du salut, Racine n’opère jamais que dans la domaine de la perdition.
La cruauté des personnages de Racine est sans limites.
Cette Iphigénie même, par exemple, comme elle est déjà foncièrement cruelle. Comme sa soumission à son père a un fond de cruauté, comme elle est déjà bien la fille. D’Agamemnon et de Clytemnestre.
Où cette Iphigénie est surtout redoutable, c’est dans la tendresse. Où elle est invincible, c’est dans la cruauté de tendresse.
Quelle sourde cruauté tragique dans cette réponse terrible à son père contraint de la sacrifier sur l’autel de Diane » :

Cessez de vous troubler, vous n’êtes point trahi.
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
……………………………………………………….
D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis
Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurais, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente ;
Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance
Paraît digne à vos yeux d’une autre récompense,
Si d’une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis
Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu’elle me fut ravie,
Ni qu’en me l’arrachant un sévère destin
Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
Fille d’Agamemnon, c’est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père ;
C’est moi qui si longtemps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les Dieux
Et pour qui tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n’avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas ! Avec plaisir je me faisais conter
Tous les noms des pays que vous allez dompter
Et, déjà d’Ilion présageant la conquête,
D’un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m’attendais pas que, pour le commencer,
Mon sang fut le premier que vous dussiez verser…

« Il n’y a pas un mot, pas un vers, pas un demi-vers qui ne porte pour mettre l’adversaire (le père) dans son tort.

Le propre du personnage racinien est qu’il parle constamment pour mettre l’adversaire dans son tort, ce qui est le commencement même, le principe de la cruauté.
Les personnages cornéliens, au contraire, qui sont la courtoisie, la générosité même, ne parlent jamais que pour mettre l’adversaire «dans sa raison » et vaincre ensuite libéralement cette raison.
Les personnages de Corneille sont gonflés d’un perpétuel pardon. Ils se pardonnent d’avance, par nature, tout ce qu’ils se feront.
Dans Racine, c’est diamétralement le contraire. Ils ne se pardonnent pas, même ce qu’ils ne se sont pas fait. »