Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




Pour m'éviter d'écrire dans le désert laissez donc ici votre commentaire ...



lundi 8 mars 2010

Anges et démons : imagerie poétique




Les anges et les démons sont invisibles. Une aubaine pour les poètes qui, libérés des contraintes sensorielles, peuvent les imaginer au gré de leur inspiration.
Il n'y a pas grand-chose de commun, en dehors de leur immortalité, entre la multitude des "daimons" remuants et tracassiers fréquentés par Ronsard et le formidable et tragique prédateur mis en scène par Victor Hugo dans "la Fin de Satan".
Guère de ressemblance non plus entre l'inaltérable perfection des anges jalousement implorés par Baudelaire dans "Réversibilité" et "l'Eloa" d'Alfred de Vigny, sorte de super star hollywoodienne succombant au charme ténébreux de Lucifer.
L'imaginaire foisonnant des poètes ne s'embarrasse pas de définitions théologiques. Leurs créatures surnaturelles reflètent leur identité littéraire et leur appréhension personnelle des mystères de l'au-delà.
-Curiosité gourmande et bon-enfant chez Ronsard.
-Démesure visionnaire de cet adepte des sciences occultes que fut Victor Hugo.
-Angoisses de l'âme tourmentée de Baudelaire, engluée dans les paradis artificiels et pourtant tendue vers une inaccessible pureté.




❖ Pour Ronsard, les anges et leurs frères les démons sont des esprits familiers dont il décrit le comportement avec la précision d'un entomologiste et la naïveté savoureuse qui caractérise l'imagerie religieuse du Moyen Age. Sur un tel sujet, Ronsard est plus proche de l'âge gothique que de la Renaissance.

HYMNE AUX DAIMONS
(extraits)

Quand l'Eternel bastit le grand palais du Monde,
Il peupla de poissons les abysmes de l'onde,
D'hommes la terre, et l'air de Daimons, et les cieux
D'anges, à celle fin qu'il n'y eust point de lieux
Vides de l'Univers, et selon leurs natures
Qu'ils fussent tous remplis de propres creatures.
Il mist auprès de luy, son plaisir le voulut,
L'escadron precieux des Anges, qu'il eslut
Pour citoyens du ciel, qui sans corps y demeurent,
Et, francs de passions, non plus que luy ne meurent ;
Esprits intelligents, plus que les nostres purs,
Qui cognoissent les ans tant passez que futurs,
Et tout l'estat mondain, comme voyant les choses
De pres au sein de Dieu, où elles sont encloses.
¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨
Les daimons, au contraire, apportent sur la terre
Pestes, fièvres, langueurs, orages et tonnerre ;
Ils font des bruits en l'air pour nous espoventer,
Ils font aux yeux humains deux soleils presenter,
Ils font noircir la lune horriblement hideuse,
Et font pleurer le ciel d'un pluye saigneuse ;
Bref, tout ce qui se fait en l'air de monstrueux
Et en terre çà-bas ne se fait que par eux.
Les uns vont habitant les maisons ruinées,
Ou des grandes citez les places destournées
En quelque carrefour, et hurlent toute nuit,
Accompagnez de chiens, d'un effroyable bruit.
Vous diriez que cent fers ils trainent par la ruë,
Esclatant une voix en complaintes aiguës
Qui resveillent les coeurs des hommes sommeillans,
Et donnent grand'frayeur à ceux qui vont veillans
Certainzs vont habitant
Autour de nos maisons et de travers se couchent
Dessus nostre estomacq, et nous tâtent et touchent.
Ils remuent de nuict bancz, tables et treteaux,
Clefz, huys, portes, buffetz, licts, chaires, escabeaux,
Ou comptent nos tresors ou gectent contre terre
Maintenant une épée, et maintenant un verre :
Toutefois au matin on ne voit rien cassé,
Ny meuble qui ne soit en sa place agencé...
¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨
Aucunesfois malins entrent dedans nos corps,
Et, en nous tourmentant, nous laissent presque morts,
Ou nous meuvent la fièvre, ou, troublant nos courages,
Font nos langues parler de dix mille langages.
Mais si quelcun les tence au nom du Très-Puissant,
Ils vont hurlant, criant, tremblant et frémissant,
Et forcez sont contraints d'abandonner la place,
Tant le sainct nom de Dieu leur est grande menace !

Pierre de Ronsard



❖ Les tourments existentiels de Baudelaire nous valent l'un des poèmes les plus harmonieux et les plus émouvants de la langue française dont la facture classique exprime de façon poignante les angoisses de l'auteur des Fleurs du Mal.

REVERSIBILITE

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse ?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine,
Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel
Et de nos facultés se fait le capitaine ?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine ?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,
Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté ;
Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières



Charles Baudelaire : Les fleurs du mal


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire