Zut alors, si le soleil quitte ces bords.
A.Rimbaud




Pour m'éviter d'écrire dans le désert laissez donc ici votre commentaire ...



mercredi 23 septembre 2009

MARIE AU CROCODIL'HOTEL




La petite Marie est bien contente. Elle va partir en vacances en Amazonie, avec sa tante Caroline. L'Amazonie est une vaste contrée d'Amérique du Sud, couverte de forêts immenses et traversée par d'énormes fleuves, dont l'Amazone qui est le plus puissant du monde.
C'est l'annonce que voici, parue dans un journal, qui a décidé la tante Caroline à faire ce voyage avec sa nièce :
Le Crocodil'Hôtel offre aux amoureux de la nature un séjour gratuit de quinze jours au coeur de l'Amazonie, en pleine forêt vierge. La seule condition est de venir sans armes pour ne pas effrayer les animaux.

La bonne tante est triste de quitter sa chère télévision et les feuilletons d'amour qui la font pleurer d'émotion, mais elle aime tant faire plaisir à la petite Marie ! Et puis des vacances gratuites, cela ne se refuse pas.


Après une longue nuit d'avion, nos deux voyageuses atterrissent au bord d'un large fleuve.
Une chaloupe les attend qui porte l'inscription "CROCODIL'HOTEL".
Un grand gaillard silencieux, leur fait signe d'embarquer et met le moteur en marche.




Le bateau quitte le port et s'enfonce dans la forêt vierge. Des milliers de perroquets de toutes les couleurs volent d'arbre en arbre. C'est un spectacle ravissant, mais la tante Caroline n'en profite guère car elle est plongée dans un magazine qui donne les programmes de télévision du monde entier.
Après quelques heures de navigation, les trois passagers abordent au pied d'une colline dominée par une grande maison rose d'assez belle apparence .
Dans le parc, une trentaine de crocodiles, attachés à des piquets, se lamentent* en choeur.

- Ne craignez rien, dit l'hôtelier, ils ne sont pas méchants et je suis sûr qu'ils vous trouvent gentilles à croquer. Ah! ah! ah!

Sur cette mauvaise plaisanterie, l'homme conduit ses clientes jusqu'à l'hôtel, entre deux rangées de crocodiles qui tirent sur leurs cordes de toutes leurs forces et font claquer leurs machoires d'un air gourmand.


Sur le perron, une petite femme toute ronde au nez pointu accueille les deux arrivantes.
Elle tient dans ses bras un adorable bébé crocodile qui envoie des baisers à Marie avec l'une de ses petites pattes.

La femme parle très vite, d'une voix criarde :

-Avez-vous fait bon voyage... Bienvenue au Crocodil'Hôtel... N'ayez pas peur de notre élevage de crocodiles... Il nous fait vivre et nous permet d'offrir des séjours gratuits... Ce tout petit qui vous dit bonjour s'appelle Croquignolet... C'est notre amour, notre chouchou, notre gnongnon, la joie de notre vie... Il vous fait la fête, il a l'air de bien vous aimer... Le dîner est à sept heures... Vous pouvez vous baigner dans le fleuve mais attention aux piranhas... Ce sont des poissons carnivores qui vous dévoreraient en cinq minutes... Vous pouvez vous faire bronzer sur la plage mais attention aux moustiques... Vous pouvez vous promener dans la forêt mais attention aux serpents... Suivez-moi je vais vous montrer votre chambre.

Que cette chambre est bizarre ! La porte est épaisse et lourde comme celle d'un coffre-fort. Les fenêtres ne s'ouvrent pas et les vitres ont plusieurs centimètres d'épaisseur. Il n'y a pas de couvertures sur les lits ni dans les armoires.
Après un brin de toilette, Marie et sa tante veulent sortir pour aller dîner. Malédiction ! La porte est fermée à clé. Les deux malheureuses sont prisonnières.
Dans la chambre, on entend comme le ronronnement d'un moteur. Il y fait de plus en plus froid. Petit à petit, une couche de glace se forme sur les murs, le sol, le plafond et même les meubles.

-J'ai compris, s'exclame Marie, cet hôtel est un piège et cette chambre un immense réfrigérateur où l'on transforme les touristes en viande surgelée pour nourrir les crocodiles.
Voilà pourquoi il faut venir sans armes et pourquoi les séjours sont gratuits.
Il nous faut trouver très vite le moyen de sortir d'ici car dans moins d'une heure nous serons changées en statues de glace.

La pauvre tante Caroline pleure à froides larmes. Elle demande pardon à sa nièce d'avoir, pour faire des économies, choisi cet hôtel maudit.

-Cessez de gémir ma tante, l'interrompt Marie, écoutez moi plutôt.
Nous allons monter une petite comédie pour obliger ces monstres à nous libérer. Laissez-moi faire et ne vous étonnez de rien.

La fillette se met alors à parler d'une voix très forte pour être entendue des hôteliers qui attendent dans la pièce voisine que leurs victimes soient bien congelées.

-Puisque nous sommes condamnées à mourir ma chère tante, crie-t-elle, il vaut mieux que ce soit rapide. L'engourdissement par le froid est un trop long supplice.
Nous allons avaler une bonne dose de mort-aux-rats, ce poison violent que vous emportez toujours avec vous pour tuer les souris qui vous font si peur. Ainsi, nous n'aurons pas le temps de souffrir et ces brigands ne pourront pas nous donner en pâture aux crocodiles car ils les tueraient avec notre chair empoisonnée.

Bien sûr, cela n'est qu'une ruse inventée par la petite Marie pour tromper ses bourreaux. La tante Caroline ne voyage pas avec du poison dans son sac !
Le stratagème réussit. Les deux sacripants supplient leurs prisonnières de ne pas se suicider ; ils promettent de les laisser partir saines et sauves et déverrouillent la porte.
Marie sait bien que ces vauriens sont des menteurs et qu'ils les attendent dans le couloir, elle et sa tante, pour les assommer à coups de gourdins. Mais, heureusement, elle est plus maligne qu'eux.

-Commencez par arrêter le moteur qui réfrigère la chambre, dit-elle, nous sortirons après.

Pendant que la chaleur revient, Marie entend un gratouillis sur le bas de la porte. C'est le gentil Croquignolet qui voudrait bien entrer chez ses nouvelles amies.
Marie entrouvre le battant pour le laisser passer, le prend dans ses bras et menace ses geôliers: "si vous faites un seul geste pour nous arrêter, j'étrangle votre Croquignolet chéri".




A ces mots, le petit caïman se met à sangloter, mais Marie le rassure tout bas, en lui expliquant qu'elle veut seulement faire peur à ses vilains maîtres et qu'elle l'aime trop pour lui faire du mal.

-Pitié, pitié, grâce pour notre petit chouchou, hurlent en chœur les hôteliers.

Les deux prisonnières sortent de la chambre avec Croquignolet et parviennent sans encombre jusqu'au fleuve, accompagnées par les cris stridents des crocodiles, furieux de voir s'échapper leur déjeuner.Elles sautent dans le canot et s'éloignent rapidement.
Sur le bord, l'homme et la femme se roulent par terre de désespoir en criant toutes les injures qu'ils connaissent, car Marie a gardé Croquignolet qui s'agrippe à elle de toutes ses forces. Il a passé ses pattes de devant autour du cou de sa nouvelle maîtresse et rien ne pourrait lui faire décroiser ses petites mains vertes.

Sauvés, nos trois amis redescendent le fleuve, à travers la forêt magnifique, jusqu'à l'aéroport.
Ils préviennent la police pour qu'elle arrête les dangereux criminels auxquels ils ont échappé, puis ils reprennent l'avion pour Paris.

A peine arrivée chez elle, la tante Caroline allume sa télévision car il y passe un film d'amour qu'elle ne veut pas manquer.
C'est l'histoire d'un chirurgien - grand, mince, énergique et célèbre - et d'une hôtesse de l'air - grande, mince, douce et distinguée -. Ils se rencontrent dans un avion et tombent amoureux l'un de l'autre, mais ils sont trop timides pour se le dire tout de suite. Malheureusement, l'avion tombe en panne et les passagers doivent sauter en parachute. Suspendus dans le vide, les deux jeunes gens nagent dans l'air l'un vers l'autre. Ils arrivent à se rejoindre et s'avouent leur amour en plein ciel.

La tante Caroline trouve cette fin merveilleuse et sanglote de joie et d'émotion.
Mais tant de naïveté finit par agacer Marie qui ne peut s'empêcher d'en faire le reproche à sa tante :

- Comment pouvez-vous vous passionner pour des histoires aussi stupides. A force d'admirer des idioties, vous devenez incapable d'apprécier les belles choses. Vous avez à peine regardé les splendides paysages que nous avons traversés en Amazonie.

-C'est vrai-, répond la tante Caroline qui n'est pas orgueilleuse du tout, -il faut que je me corrige. Mais que veux-tu, je suis si sentimentale, j'ai tant besoin de belles histoires d'amour-.

La petite Marie embrasse alors tendrement sa tante chérie pour lui montrer qu'elle l'aime beaucoup et qu'elle regrette d'avoir été désagréable. Croquignolet se joint à l'embrassade de toute la force de ses mignonnes petites pattes.


© Dessins de Caroline Sagot-Duvauroux



*Quand un crocodile crie, on dit Qu'il se lamente, comme on dit d'une vache qu'elle beugle ou d'un chien qu'il aboie.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire